Syrie : «La question est de savoir à qui on fournit des armes»

Comment accélérer la transition politique en Syrie ? Une question au cœur de la réunion à Rome, des « Amis du peuple syrien ». John Kerry, le secrétaire d’Etat américain, y a plaidé pour une transition rapide et une aide renforcée pour l’opposition syrienne. François Géré, président de l’Institut français d’analyses stratégiques, expose la position de la France et les risques impliqués par la fourniture d'armes à une opposition morcelée.

RFI : Le conflit syrien entrera bientôt dans sa troisième année. Depuis plusieurs jours, la pression pour une solution politique à ce conflit est de plus en plus forte. Pression à la fois sur le régime de Damas et sur l’opposition syrienne, qui ne souhaitait pas participer à cette réunion de Rome, avant d’accepter finalement d’y être présente. Où en est l’opposition ? Est-elle parvenue à dépasser ses divisions internes ?

François Géré : Malheureusement, non ! Bien entendu, il y a eu un accord a minima, pour dire que pratiquer la politique de la chaise vide, par rapport aux amis et aux soutiens des forces opposées au président el-Assad, ce ne serait pas une position convenable, pas une position tenable. Donc oui, on y va, mais on y va, pour un certain nombre de membres, à reculons.

Il est absolument évident, que malheureusement, le président désigné du Conseil national syrien, Mouaz al-Khatib, n’est pas parvenu à obtenir le degré d’unanimité et de consensus qui eut été nécessaire. On a le sentiment, depuis plusieurs semaines, qu’à chaque fois qu’il se met d’accord avec un gouvernement, que ce soit l’Egypte, ou d’autres pays, immédiatement, il est critiqué, désavoué. On ne voit pas de véritable stabilisation politique. Et c’est ça qui contribue, finalement, à ce phénomène de pérennisation du conflit.

Pour vous, le fait qu’il accepte finalement de participer à cette réunion, ça n’augure pas d’une réelle évolution vers une volonté de tenter de mettre fin à cette guerre ?

Je crains que malheureusement, ce ne soit pas le cas. Tout le monde veut mettre fin à cette guerre. C’est absolument effroyable de constater que cette guerre dure depuis trois ans. C’est bel et bien une guerre civile. C’est une guerre civile qui est soutenue par des factions diverses. La France voulait éviter le scénario du pire, c'est-à-dire une guerre civile qui soit soutenue par les parties extérieures, qui fournissent des armes. Et c’est exactement ce qui s’est produit. Il y a clairement d’un côté un soutien iranien, qui est quasiment officiel.

Et de l’autre côté, il y a le soutien de la Turquie aux insurgés, mais évidemment, pas tous. Il y a une action déjà ancienne de l’Arabie Saoudite, qui livre des armes, mais on ne sait pas à qui, via le canal de la Jordanie. Et aujourd’hui, les Etats-Unis disent : on va intensifier notre effort pour fournir des armes aux insurgés. Ça veut dire que tout ça...

Ce n’est pas des armes, de l’aide indirecte ?

C’est le contraire d’une solution négociée.

Cette opposition, finalement, on ne comprend pas bien ce qu’elle cherche exactement. Elle réclamait de l’aide. Aujourd’hui, les Etats-Unis disent qu’ils vont en fournir. Que lui faudrait-il pour avancer ?

Il faudrait d’abord mettre de l’ordre dans la maison. La question n’est pas de dire : nous voulons des armes, fournissez-nous des armes. La question est de savoir à qui on fournit des armes. Qui est capable d’en faire usage ? Par rapport à quel but politique?

Le but politique négatif, on le voit très bien. C’est évidemment remplacer le régime Assad. Mais le remplacer par quoi ? Le remplacer par quelle instance représentative des différentes factions qui se sont opposées à Assad depuis bientôt trois ans ? Et là, il n’y a, malheureusement, aucune réponse véritablement claire. Et c’est la raison pour laquelle la France, qui a immédiatement pris partie pour une alternative politique au régime d’Assad, est en même temps extrêmement réservée en ce qui concerne la direction que l’on donne aux armes qui sont réclamées.

Il faut se rendre compte, qu’il y a aujourd’hui une circulation des armes dans la région et dans les environs de la région, qui font que, par exemple, un certain nombre d’éléments parmi les plus durs, et donc les éléments salafistes qui sont en lutte contre Bachar el-Assad, sont ceux-là mêmes qui bénéficient de soutiens et font transférer des armes de la Syrie vers les pays du Sahel. C’est la raison pour laquelle on est obligé à une extrême, extrême précaution.

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