Autriche: le centre interreligieux de Vienne dément être inféodé à l’Arabie Saoudite

Dans l'attente d'être inauguré le lundi 26 novembre, le centre interreligieux de Vienne est déjà au centre d’une polémique liée à son financement par l’Arabie Saoudite. Ses détracteurs l’accusent de n’être qu’un décor de cinéma cachant une entreprise de « respectabilisation » du royaume. RFI a contacté le secrétaire général du centre, qui nie toute dépendance de Riyad et nous explique ce que, selon lui, sera le fonctionnement de l’organisation.

En décrochant son téléphone, Fayçal Bin Abdulrahman Bin Muaammar annonce qu’il ne peut pas parler maintenant. Il est en plein travail, ce qui n’a rien d’étonnant lorsqu’on est le secrétaire général du Centre international Roi Abdallah Ben Abdelaziz pour le dialogue interreligieux et interculturel (KAICIID), qui doit être inauguré en grande pompe ce lundi 26 novembre à Vienne, en Autriche. Et puis il se ravise : « Rappelez dans dix minutes. » Sans doute parce que l’ancien vice-ministre saoudien de l’Education sait qu’il se doit de profiter de toutes les tribunes possibles pour répondre aux vives critiques ressurgies ce samedi à l’encontre de son centre.

Le KAICIID étant financé par l’Arabie Saoudite pour ses trois premières années, il n’est en effet pas difficile d’en déduire qu’il ne sera qu’un pantin entre les mains de Riyad. Son installation à Vienne a donc facilement irrité les Verts autrichiens, ainsi que l’ILMÖ, un mouvement de musulmans modérés du pays qui a annoncé que « ce centre douteux du wahhabisme à Vienne » ne « servira que les intérêts politiques et religieux de l'Arabie Saoudite, sous le prétexte du dialogue », dans le but de rendre le pays plus fréquentable aux yeux des Européens. Le métropolite Emmanuel de France, pourtant représentant de l'Eglise orthodoxe dans le conseil de l’organisation, a lui-même considéré dans un entretien à Kathpress que ces trois premières années d’existence étaient « une période d'essai » pour le KAICIID.

L’Arabie Saoudite financera les trois premières années

M. Bin Muaammar ne veut pas répondre sans commencer par un brin de philosophie. « Sans critiques, il n’y a pas de dialogue… Même en Arabie Saoudite, nous avons eu des critiques, et nous en avons maintenant en Europe. Mais avant qu’ils ne connaissent la vérité, ce ne sont que des préjugés. La porte sera ouverte et ils pourront en parler avec les leaders religieux venus d’Arabie Saoudite et d’autres leaders religieux. » Pour appuyer son propos, le secrétaire général a deux arguments sous le coude : « D’abord, l’Arabie Saoudite a décidé de financer le projet pour les trois premières années. Ensuite, les dons seront ouverts à tous les Etats qui le veulent, sans aucune condition préalable pour le centre. » Le deuxième pion qu’il avance est lié à l’organisation du KAICIID : « Il est gouverné par un conseil de neuf membres de différentes religions, que nous espérons bientôt porter à douze membres. Il n’y a qu’un représentant de l’Arabie Saoudite. Ils ont tous été nommés par les Etats fondateurs, l’Espagne, l’Autriche et l’Arabie Saoudite. »

Ces neuf « sages » ont manifestement été choisi soigneusement pour ne heurter aucune religion monothéiste et donc donner au minimum l’illusion d’une véritable indépendance. Un sunnite saoudien (Hamad Al-Majed), un catholique (le révérend-père Miguel Ayuso), un anglican (le révérend Toby Howard), un orthodoxe (le métropolite Emmanuel de France), un juif (le grand rabbin d’Irlande David Rosen), un hindouiste (Swami Agnivesh), une bouddhiste (Kosho Niwano), un Libanais spécialisé dans les relations entre chrétiens et musulmans (Mohammad Sammak), et lorsqu’on intègre un chiite d’Iran (pays plus qu’en froid avec l’Arabie Saoudite), on choisit Seyyed Mohajerani, ministre de la Culture et de l’Orientation Islamique sous le président réformiste Mohammad Khatami jusqu’en 2000, trop permissif pour l’ayatollah Khamenei, qui avait fini par le pousser à la démission. Tous ont travaillé dans le dialogue interreligieux. Tous ont un profil modéré.

Un partenariat avec l’Unicef

D’après Fayçal Bin Abdulrahman Bin Muaammar, ce conseil sera chargé de « construire le respect et la compréhension » entre les religions, ce qui ne veut pas forcément dire grand-chose sans quelques exemples concrets. « Nous allons construire des programmes pour construire le respect, la tolérance, et soutenir beaucoup d’activités qui doivent permettre d’éliminer l’extrémisme partout dans le monde, précise le secrétaire général du KAICIID. Nous allons amener de jeunes responsables religieux du monde entier à s’asseoir à la même table et à parler pour trouver un moyen d’éviter les conflits. » Lundi, jour de l’inauguration du centre, devrait notamment être annoncé un partenariat avec l’Unicef. « Pour tenter d’arrêter les décès d’enfants de moins de cinq ans, explique M. Bin Muaammar, ambitieux. En 2010, plus de 7,6 millions d’enfants sont morts parce que leurs familles ne savaient pas comment s’en occuper. Nous allons donc travailler avec l’Unicef pour amener des religieux à aider les communautés de différentes religions et cultures. »

Avant de raccrocher, le secrétaire général tient encore à marteler son message adressé à ceux qui critiquent l’initiative : « La porte est ouverte, vous êtes les bienvenus pour discuter. » Pas certain que cela suffise à les convaincre, pas plus que la démonstration de respectabilité que devrait être la cérémonie de lundi, avec la présence annoncée de Ban Ki-moon, des ministres des Affaires étrangères saoudien, espagnol et autrichien, du cardinal Tauran (responsable du dialogue interreligieux au Vatican), ainsi que de « vingt-et-une organisations internationales et 750 invités ». Pour se faire une idée, il faudra certainement attendre de voir la machine en route, notamment pendant ces trois premières années de financement saoudien, pour vérifier si tout ceci n’était pas qu’un habile rideau de fumée.

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