Syrie : des enfants utilisés comme «boucliers humains», selon un rapport de l'ONU

Les Nations unies ont publié, ce mardi 12 juin, un rapport accablant pour le gouvernement syrien et les forces armées qui soutiennent le régime de Bachar el-Assad en Syrie. Dans ce rapport, on parle d’exécutions sommaires d’enfants, de tortures, et d’enfants utilisés comme « boucliers humains ». Nadi Mouri, directeur adjoint de la section Moyen-Orient à Human Rights Watch, revient sur ce rapport. Entretien.

RFI : Est-ce que Human Rights Watch a également eu écho et dénonce de telles exactions ?

Nadi Mouri : Human Rights Watch a documenté pendant toute l’année passée des violations graves contre les enfants, que ce soit des détentions arbitraires ou de la torture. Et même en mars dernier, on avait documenté l’utilisation des résidents de villages d’Edlib, dans le nord de la Syrie, en tant que boucliers humains. Et dans ces résidents il y avait des enfants... Chose confirmée aujourd’hui par le rapport des Nations unies.

Nouvelle accusation importante qu’on suivait depuis un bout de temps : les Nations unies disent qu’ils ont reçu des rapports crédibles indiquant que des groupes de l’opposition armée, incluant l’Armée syrienne libre, ont utilisé des enfants en tant que soldats. Ce sont des rapports que nous avons nous-mêmes reçus, et nous avons vu aussi des vidéos qui montrent des enfants en tenue de militaire ou de combattant.

RFI : L’ONU cite clairement l’armée et l’Armée syrienne libre, donc l’opposition, comme en position d’enrôler des enfants, ce que vous dénoncez. Il n’y a rien de nouveau là-dedans. Ce qui est nouveau, c’est que les Nations unies, pour une fois, le dénoncent.

N.M. : En effet, l’ONU le dénonce. Il y a une distinction à faire : le rapport nomme spécifiquement l’armée syrienne régulière, donc pro-Bachar. Pour ce qui est de l’Armée syrienne libre, l’accusation, jusqu’à présent, est un peu plus douce. Ils disent qu’ils ont des rapports crédibles mais qu’ils n’ont pas encore de preuve. Et par conséquent, ils ne les ont pas encore nommés.

Maintenant ce que l’on demande, nous, c’est que le Conseil de sécurité agisse. Encore une preuve de plus pour imposer un embargo sur les armes à destination du régime syrien, mais aussi des sanctions contre le leadership syrien.

RFI : La représentante spéciale de l’ONU pour les enfants dans les conflits armés dit : « J’ai rarement vu autant de brutalité contre les enfants qu’en Syrie ». Quelle est la situation des enfants en Syrie ?

N.M. : Premièrement, il faut savoir que les enfants aujourd’hui sont traités par les forces du régime comme des adultes. Il n’y a aucune distinction. On a interviewé des enfants qui de 12 ou 13 ans qui nous racontaient avoir été torturés, avoir été laissés seuls dans des cellules pendant des jours et même des semaines.

Deuxièmement, il y a bien sûr eu des tueries d’enfants. Est-ce qu’on cible spécifiquement les enfants ? Là aussi je dirais à nouveau qu’il n’y a eu aucun effort de distinction. Parfois, leur seul crime c’est d’avoir traversé la route au mauvais moment ou parce qu’ils jouaient en face de leur maison et on leur a tiré dessus.

Troisièmement, il y a aussi cette utilisation des enfants en tant que boucliers humains. Les membres de l’armée syrienne ont utilisé des résidents, que ce soit des vieux ou des enfants, pour marcher devant leurs chars, pendant qu’ils se déplaçaient d’un bout à l’autre du village. Et ceci pour éviter qu’ils ne soient attaqués par l’opposition armée.

RFI : Les écoles sont très fréquemment bombardées. Est-ce une politique de casser toute une génération qui n’osera plus se rebeller contre le régime de Bachar el-Assad ?

N.M. : Difficile de dire si c’est une politique délibérée, adoptée au plus haut niveau. En tout cas, ce sont des pratiques assez généralisées. On a vu que dans plus de 30 centres de détention à travers le pays, il y avait eu des enfants détenus et torturés. Au minimum, il y a une politique qui consiste à ne pas protéger les enfants, à ne pas les distinguer des adultes.

Ce qui est sûr, c’est que ces rapports, le fait que ces preuves existent maintenant depuis plusieurs mois et qu’il n’y ait eu aucun changement, montrent au minimum que les autorités sont complices au plus haut niveau, et qu’il y a notamment peut-être des commandants de terrain qui s’en prennent aux enfants comme ils s’en sont pris aux étudiants, comme ils s’en sont pris aux manifestants. Il y a beaucoup de cruauté aujourd’hui en Syrie. Et malheureusement, les enfants - un des groupes les plus vulnérables - continuent à payer le prix.

Partager :