RFI : Le choix de cette cible, un défilé militaire pour le 22ème anniversaire de l’unification du Yémen, c’est très symbolique.
Khattar Abou Diab: C’est très symbolique et en principe, il y avait d’autres hommes qui étaient prêts à se faire exploser. Cela signifie quand même que le ministre de la Défense et les chefs d’état-major ont été aussi visés par cette attaque. Elle ne ciblait pas simplement les militaires, sur une place très symbolique. Jamais la famille Saleh n’a été visée comme cela. Ça laisse quand même beaucoup d’interrogations sur des liens cachés entre al-Qaïda et certains partis politiques au Yémen.
RFI : Car le mouvement l’a dit dans un communiqué : c’était bien la tête de l’armée qui était visée le 21 mai.
K. A. D. : Oui, la tête de l’armée, c’est-à-dire, le nouveau ministre de la Défense, les chefs d’état-major, et le président lui-même. Il y a quelques jours à Sanaa, on a eu des rumeurs sur un possible attentat visant le président. Le président Ali Abdallah Saleh, derrière les coulisses, ne veut pas que le président par intérim qui a été désigné soit toujours en mesure de reprendre le pays comme il faut. Ces attentats, cette déstabilisation, continuent, mais cette fois en frappant en plein coeur de Sanaa, en frappant les organes de la sécurité. Il y a la main d’al-Qaïda derrière tout cela mais il y a quand même une sorte de bavure de la part de certains cadres de sécurité qui ont été limogés tout de suite par le président Abed Rabbo Mansour Hadi pour corriger le tir. La situation est très critique actuellement au Yémen.
RFI : Le nouveau président est arrivé au pouvoir au mois de février, est-ce que cela veut dire aujourd’hui qu’il est vraiment très fragilisé ?
K. A. D. : Il est très fragilisé. On essaie de lui interdire de continuer la chasse aux hommes d’Ali Abdallah Saleh, de nettoyer les appareils de l’Etat et de réunifier les forces armées. Chaque partie, Ali Abdallah Saleh, son cousin qui a été dissident, le général Ali Mohsen al-Ahmar, le parti islamiste al-Islah, al-Qaïda : chacun tire les ficelles de son côté pour ne pas permettre au président Mansour de faire le travail, (pour) transférer le Yémen vers un autre climat d’incertitude.
RFI : Est-ce qu’on peut établir un lien entre ce carnage d’hier à Sanaa et ce qui se passe, avec cette grande offensive dans le Sud, avec là aussi al-Qaïda comme cible ?
K. A. D. : La grande offensive dans le Sud, la situation aussi dans certains endroits du Sud qui demandent toujours la séparation, la situation dans le nord du Yémen et surtout avec les Houtistes, on a beaucoup de foyers d’instabilité. Mais sans aucun doute, al-Qaïda a tenté de profiter de l’absence de pouvoir central pour s’installer et faire un nouveau foyer terroriste dans une partie du Yémen. Avec l’aide des Etats-Unis, les forces yéménites font la chasse contre al-Qaïda. Les Américains ont eu l’habitude de travailler avec les gens de la famille Saleh, avec son fils, le dirigeant de la garde républicaine, avec celui de la sécurité centrale, le général Yahya Saleh, et pour cela il y avait quand même dans cet attentat d’hier comme un message aussi aux Américains : « Le travail qui a été fait avec la famille Saleh aurait été plus efficace et votre travail avec le nouveau pouvoir ne va pas donner de résultat ».
RFI : En quoi consiste cette décision des Américains d’envoyer sur place de l’assistance technique, des drones, des hommes, des experts ?
K. A. D. : Il y a plus ou moins, quand même, une implication américaine dans cette guerre du Yémen. Les Américains constatent que si al-Qaïda réussit à installer un grand foyer au Yémen qui ne serait pas loin d’un autre foyer des shebabs de la Corne de l’Afrique en Somalie, ce serait très dangereux pour toute la stabilité régionale. Pour cela, les Américains ne lésinent pas dans les moyens pour tenter d’endiguer al-Qaïda avant qu’ils deviennent une grande menace au Yémen.
RFI : Est-ce que ce nouveau pouvoir a les moyens pour lutter, pour protéger justement la sécurité dans le territoire ? Est-ce qu’il y a une assistance internationale ou est-ce que l’aide américaine suffit ?
K.A.D. : (...) C’est un pouvoir éparpillé, un pouvoir sous pression de tous les côtés. Je pense que l’assistance américaine à elle seule ne suffit pas. Il faut une sorte de soutien international plus puissant, d’un soutien arabe et régional pour ce pouvoir, et ceci s’inscrit dans la réunion qui va se tenir demain en Arabie Saoudite pour « les amis du Yémen » afin de consacrer une grande somme pour aider ce pays à relever ce grand défi.