Jamais la Ligue arabe n'avait parlé aussi fermement : plus de coopération diplomatique avec Damas. L'organisation se range clairement du côté de l’opposition en se proposant de lui fournir une aide politique et matérielle. Enfin, les pays arabes vont demander au Conseil de sécurité de l'ONU le déploiement en Syrie d'une « force mixte arabe et internationale ». Les chaînes satellitaires arabes évoquent un chiffre : l'envoi de 3000 casques bleus qui « superviseraient l'exécution d'un cessez-le-feu ».
Immobilisme
L'idée est de ne plus perdre de temps face à un conflit qui apparaît de plus en plus comme une guerre civile. Jusqu'à présent, la Ligue arabe n'a pas été capable de faire réellement pression sur le régime de Bachar el-Assad. Pour preuve, elle a mis fin dimanche à la mission de ses observateurs, une mission qui « n'a pas pu réussir étant donné les contraintes », a expliqué sur l’antenne de RFI Nassif Hitti, le représentant à Paris de l'organisation.
Les pays arabes ont aussi échoué à faire bouger les lignes à l'ONU. Deux projets de résolution ont été torpillés par la Chine et la Russie en décembre et février dernier. Moscou et Pékin jugeaient les textes trop partisans. Une nouvelle proposition va donc être soumise au Conseil de sécurité prochainement : former une force de maintien de la paix arabo-onusienne. Pour l'instant, pas de précision sur la composition exacte de cette troupe, de son mandat. Pour que cette idée puisse prendre forme, il faudrait surtout que Damas donne son feu vert et cela semble mal parti.
Le régime syrien a réagi dès dimanche, inflexible comme à son habitude depuis le début de la crise. L'ambassadeur syrien auprès de la Ligue arabe, Youssef Ahmed, a immédiatement précisé que son pays rejetait en bloc des propositions qui émanent d'un organisme « à la solde de l’Occident » et dont les Syriens ont été chassés en novembre dernier. Pour le diplomate, les suggestions de la Ligue reflètent « l'hystérie et la confusion qui règnent au sein de l'organisation panarabe ». Il est vrai que les pays arabes n'ont pas tous la même lecture de ce qui se passe aujourd'hui en Syrie car leurs intérêts sont parfois divergents.
Réticences
L'Union européenne est la seule à adhérer pleinement à l'initiative de la Ligue arabe. La France soutient la démarche mais n’est pas favorable à l’envoi de casques bleus français sur le terrain. « Nous pensons qu'aujourd'hui toute intervention à caractère militaire extérieure ne ferait qu'aggraver la situation », a précisé Alain Juppé, le ministre français des Affaires étrangères. A Londres, le message est le même : oui au déploiement d'une force d'interposition mais sans les Occidentaux.
« Nous allons étudier cette option », rétorquent les Russes « mais, précise leur ministre des Affaires étrangères, pour envoyer une force de maintien de la paix il faut l'autorisation du régime syrien, et il faut aussi un cessez-le-feu ». Ces deux conditions sont loin d'être remplies. Les Nations unies pourraient être réticentes à envoyer sur le terrain des soldats garants de la paix s'il n'y a pas de paix.
La situation dramatique dans la ville de Homs a visiblement donné le sentiment à la communauté internationale qu'il fallait agir en urgence. Depuis 10 jours, Homs est soumis à un pilonnage intensif. Bombardements incessants, présence de chars, de snipers dans la ville, l'armée loyaliste cible les manifestants mais aussi leur soutien militaire (l'Armée syrienne libre qui a commencé à riposter, selon les témoignages de l'opposition).
Les quartiers sunnites de cette ville rebelle, comme Bab Amro et Al Waer, sont particulièrement visés. Des témoignages font état d'un véritable massacre, 300 personnes auraient été tuées en 10 jours selon la Haut commissaire aux droits de l'homme de l'ONU, Navi Pillay, et aujourd'hui les civils manquent de tout. La crise alimentaire menace. Une seule boulangerie serait encore ouverte dans cette ville d'un million et demi d'habitants. Les médecins ne sont plus en mesure de soigner les blessés. Le Croissant-Rouge a réussi à pénétrer dans la ville mais tous les quartiers ne sont pas accessibles.
L'Assemblée générale de l'ONU va se pencher ce lundi 13 février sur la crise en Syrie et ses conséquences humanitaires. La Ligue arabe espère ainsi débloquer le dossier au plan diplomatique, en évitant le Conseil de sécurité. Le blocage diplomatique dure depuis un moment. A l'ONU, les Russes et les Chinois refusent de voter une résolution condamnant le régime de Bachar el-Assad.
Eviter un scénario à la libyenne
Parallèlement, les pays occidentaux ne veulent pas d'un scénario à la libyenne et n'envisagent pas, pour l'instant, d'intervention armée. Arabes et Occidentaux doivent par ailleurs lancer cette semaine une nouvelle tentative pour faire condamner Damas à l'ONU, via l'Assemblée générale cette fois, et non plus le Conseil de sécurité, cela pour éviter tout nouveau veto des Russes et des Chinois. L'adoption d'une telle résolution serait symbolique.
Une option reste ouverte : financer l'opposition syrienne mais jusqu'à quel point ? Faut-il lui fournir des armes ? Cela n'est pas encore tranché. Le Conseil national syrien et l'Armée syrienne libre (ALS) appellent les pays arabes à « participer de manière directe et efficace au financement légitime des opérations d'autodéfense ». La réponse de la Ligue est assez évasive : « Nous allons ouvrir des canaux de communication avec l'opposition syrienne et lui fournir toutes les formes de soutien politique et matériel ».
Les Européens de leur côté sont sceptiques et prudents quand on évoque l'éventuelle livraison d'armes à l'ALS. Pour eux, cela ne ferait que nourrir la guerre civile. Selon le vice-ministre irakien de l'Intérieur, Adnane al-Assadi, des jihadistes sont déjà partis combattre en Syrie et des armes à destination de l'opposition syrienne sont actuellement acheminées à partir de l'Irak.
Dans un enregistrement vidéo samedi, le chef d'al-Qaïda, Ayman al-Zawahiri, avait appelé les musulmans de Turquie, de Jordanie et du Liban à soutenir la rébellion en Syrie. Mathieu Guidère est universitaire et spécialiste du terrorisme. Pour lui, la déclaration de Zawahiri est une première. « C'est en raison de l'impuissance de la communauté internationale à trouver des solutions en Syrie que les jihadistes se positionnent sur le devant de la scène aujourd'hui ».