Le rapport de Human Rights Watch, publié ce jeudi sur son site internet, se base sur le témoignage de plusieurs milliers de personnes, témoins directs ou victimes des évènements en cours en Syrie depuis maintenant dix mois.
HRW s'est concentrée plus particulièrement sur les informations recueillies auprès de 63 déserteurs de l'armée syrienne et des renseignements militaires - les Mukhabarat. Recoupées et vérifiées, ces données ont permis de dresser avec certitude la liste de 74 officiers responsables des massacres dans plusieurs grandes villes du pays. Ces soldats ayant fait défection confirment la « participation de leurs unités dans les exactions » commises dans sept gouvernorats : Damas, Daraa, Homs, Idlib, Tartous, Deir al-Zor et Hama.
Le plus haut niveau de l'Etat est responsable des exactions - arrestations, tortures, meurtres et exécutions sommaires -, indique le rapport. Le haut commandement militaire tout comme les officiels du régime ont donné l'ordre d'ouvrir le feu sur la foule. Les arrestations arbitraires et la torture ont été conduites de façon systématique depuis le début du mouvement en mars. « En tant que chef des forces armées, le président Bachar el-Assad était forcément au courant des abus », accuse l'ONG.
« Par tous les moyens nécessaires »
C'est le titre du rapport, tiré du mot d'ordre le plus répandu dans les rangs des forces répressives, et véritable leitmotiv dans les témoignages, édifiants, des soldats déserteurs.
Acteur repenti, et témoin parmi tant d'autres, Jamal (prénom d'emprunt) se souvient : « Le 27 août, nous étions proches d'un hôpital de la police. Près de 1 500 manifestants se sont rapprochés, demandant la libération de l'un des leurs, blessé et détenu à l'intérieur de l'hôpital. Ils avaient des rameaux d'oliviers, pas d'armes. Il y avaient environ 35 soldats et 50 membres des services de la Mukhabarat au checkpoint. Nous avions également une jeep, équipée d'une mitrailleuse. Quand les protestataires ne furent plus qu'à cent mètres, nous avons ouvert le feu. Nous en avions reçu l'ordre du général de brigade. Cinq d'entre eux furent touchés, et je crois que deux sont morts. »
Mansour, Abdullah, Najib, Hani... Tous mentionnent la même consigne meurtrière : « stopper la foule à tout prix ». Ils confirment la présence de snipers sur les toits. Ils témoignent aussi de l'angoisse face au dilemme : obéir aveuglément aux ordres et abattre des civils - hommes, femmes, enfants - désarmés ; ou bien tirer en l'air ou aux pieds au risque de se faire liquider sur-le-champ. Ce fut le cas de Yusuf Musa Krad, un conscrit de 21 ans, originaire de Deraa. Sur ordre du colonel Khader, il a été abattu de deux balles dans la tête, par un sniper juché sur un toit.
25 avril, Deraa. Amjad, du 35e régiment des forces spéciales, reçoit l'ordre direct de tirer à vue : « " Utilisez l'arme lourde. Personne ne vous demandera des comptes ", a dit le général Ramadan. Normalement, on est censé économiser nos munitions. Mais cette fois, il a dit " utilisez autant de balles que vous voulez ". Et quand quelqu'un a demandé sur quoi on était supposé tirer, il a répondu : " Sur tout ce que vous voyez en face de vous ". Près de 40 manifestants ont été tués ce jour-là. » Dans une récente interview donnée à la chaîne américaine ABC, le président syrien Bachar el-Assad réfutait avoir donné l'ordre de tuer les opposants dans la rue.
Une résolution demandée par la Russie
Depuis mars et le début des protestations anti-gouvernementales, les combats ont fait plus de 5 000 morts - le double selon les réseaux locaux. « Ces abus et attaques systématiques commises contre des populations civiles constituent des crimes contre l'humanité », écrit Human Rights Watch qui en réfère au Conseil de sécurité de l'ONU et appelle la Cour pénale internationale à se saisir du dossier syrien.
Quelques heures après la publication de ce rapport, la Russie, qui bloquait toute avancée diplomatique sur le problème syrien, proposait une résolution au Conseil de sécurité de l'ONU condamnant les violences en Syrie, « perpétrées », selon elle,« par toutes les parties ».