Malgré bientôt dix mois de contestation et des pressions internationales qui se sont intensifiées avec le lâchage des Etats-Unis et de l’Arabie Saoudite, Ali Abdallah Saleh se cramponne au fauteuil présidentiel. Certains l’avaient cru fini le 3 juin 2011 lorsqu’il avait été sévèrement brûlé au visage dans un attentat à l’explosif perpétré dans la mosquée de son palais de Sanaa. Hospitalisé à Ryad, en Arabie Saoudite, Saleh avait chargé son vice-président de négocier avec l’opposition un transfert du pouvoir qu’il monopolise depuis 33 ans. Ruse pour déjouer les plans de son hôte saoudien ou baroud d’honneur, Saleh est finalement revenu à Sanaa le 23 septembre pour poser de nouveaux préalables à son éventuelle sortie.
Finasseries diplomatiques et stratégie du canon
Ce mardi, le Conseil de sécurité de l'ONU va être appelé par ses membres européens à se prononcer sur un projet de résolution pressant Ali Abdallah Saleh de céder le pouvoir dans le cadre du « plan de sortie de crise » concocté en avril dernier par le Conseil de coopération du Golfe (CCG). Celui-ci prévoit un agenda de trois mois au cours duquel serait formé un gouvernement de « réconciliation » ou d’union nationale parallèlement à la démission du président Saleh en échange d’une immunité judiciaire pour ce dernier et pour son clan. Mais jusqu’ici, Saleh a multiplié les arguties pour retarder cette perspective, objectant par exemple le 8 octobre dernier que les opposants armés qui lui disputent le pouvoir n’étaient pas prévus au programme et qu’il fallait donc commencer par les écarter du jeu.
Depuis son retour, Ali Abdallah Saleh a renoué avec son inusable habitude de régler ses différents au canon et à l’arme automatique. Une stratégie dont il partage visiblement le goût avec une partie de ses adversaires, à l’exception notable de la jeunesse et des autres militants de la contestation pacifique qui paient un tribut de sang à sa répression sans merci. Mais des affrontements entre milices tribales et une véritable guerre de positions témoignent de l’âpreté des rivalités. L’après-Saleh a commencé à se jouer dans un rapport des forces armées à l’intérieur du cercle yéménite des tribus et des hommes d’influence qui cherchent aussi en même temps à délivrer une manière de message à la diplomatie internationale qui doit tenir concile à New York ce 18 octobre.
Une guerre de succession familiale et tribale
« Nous demandons au Conseil de sécurité de l'ONU de forcer Saleh à démissionner », proclamait samedi 15 octobre la banderole d’un groupe de manifestants partis de la place du Changement - épicentre de la contestation protégé par des unités dissidentes de l'armée - pour rejoindre le ministère des Affaires étrangères, installé dans le secteur contrôlé par la Garde républicaine aux ordres d’Ahmed Ali Abdallah Saleh, le fils du président. Le dernier carré du pouvoir Saleh est en effet très familial. Et c’est d’ailleurs l’avenir de la famille Saleh, et notamment la place de son fils dans le futur Yémen qui se joue dans la bataille de Sanaa.
La répression particulièrement sanglante du 21 mars dernier avait été invoquée par le frère de lait du président Saleh, le général Ali Mohsen et par des dizaines d’officiers et de diplomates pour se détacher du régime. Le général avait alors promis de se faire le protecteur des contestataires pacifistes et en particulier des étudiants. Dimanche 16 octobre, ses soldats de la Première division blindée s’étaient placés en tête de cortège pour répliquer aux tireurs embusqués et aux forces loyalistes. Ils n’ont pas réussi à empêcher que la répression fasse des dizaines de morts et des centaines de blessés parmi les manifestants, ce week-end à Sanaa.
Le général Ali Mohsen a proposé de faire taire les armes en ville pour limiter les pertes humaines. Il a même suggéré de poursuivre si nécessaire la bataille à l’écart des centres urbains démilitarisés en redéployant à « au moins 200 kilomètres de là » les forces armées loyales au chef de l'Etat et les troupes de la 1ère division blindée qu’il commande. Les grandes villes du Yémen, et Sanaa en particulier, sont en effet devenues le théâtre principal des joutes armées entre partisans et adversaires de Saleh. Celui-ci utilise d’ailleurs comme repoussoir à son propre usage des armes la dissidence militaire du général Ali Mohsen et la contestation non moins armée de la milice de la puissante tribu des Hached du cheikh Sadek al-Ahmar.
Saleh exige le désarmement des hommes d’Ali Mohsen et de ceux de Sadek al-Ahmar en préalable à sa signature du projet de transition du Conseil de coopération du Golfe. En retour, le général préconise une démilitarisation des centres urbains dévastés par les tirs à l'artillerie lourde. En fait, chacun d’entre eux espère neutraliser l’autre. Un objectif bien hypothétique tant qu’ils n’ont pas épuisé leurs stocks d’armes.
Les drones américains livrent bataille au terrorisme
Le bain de sang yéménite soulève une indignation internationale qui a laissé à l’Arabie Saoudite le soin d’intervenir au Yémen - jusqu’à présent très diplomatiquement en comparaison avec son intervention militaire au Bahreïn. Pendant ce temps, les Etats-Unis poursuivent leurs opérations au sud du pays contre les bases réelles ou supposées d’al-Qaïda dans la Péninsule arabique (Aqpa). Le 30 septembre dernier, ils sont parvenus à tuer l'imam Anouar Al-Aulaqi soupçonné par Washington de liens avec les auteurs de l'attentat manqué du 25 décembre 2009 sur un avion de ligne américain et de la fusillade qui a fait 13 morts sur une base texane en novembre 2009. Une grande victoire de la lutte antiterroriste pour Washington.
Le 15 octobre dernier, un nouveau raid aérien, a visé le réseau al-Qaïda dans la péninsule arabique (Aqpa), tuant l'Egyptien Ibrahim al-Banna, responsable de sa branche médiatique et plusieurs autres responsables parmi lesquels un fils d’Al-Aulaqi, selon des sources yéménites locales. Pentagone et ministère yéménite de la Défense se réclament de ces succès dans une région où le madré président Saleh a beaucoup joué des « Partisans de la charia » pour contrer ses adversaires sécessionnistes au Sud et schismatiques au Nord - où sévit la rébellion zaïdite - , mais aussi et surtout pour obtenir l’aide sonnante et trébuchante des Etats-Unis au titre de la lutte antiterroriste.
Aujourd’hui, les avions et les drones américains poursuivent leurs propres objectifs en territoire yéménite, officieusement pour empêcher les partisans d’al-Qaïda de tirer profit de la désagrégation du pouvoir Saleh pour occuper la place. Lâché par l’Arabie Saoudite, Ali Abdallah Saleh a aussi perdu tout crédit aux Etats-Unis et plus largement en Occident. La guerre de succession bat déjà son plein au Yémen et les Européens ont saisi le Conseil de sécurité de la question de la légitimité du président Saleh. Reste à savoir combien de temps le régime Saleh va encore tenir et quelles seront les prétentions des protagonistes qui parviendront à le mettre hors-jeu.