L’opposition syrienne en ordre de bataille ?

A l’intérieur comme à l’extérieur, l’opposition syrienne se présente encore en ordre dispersé. Mais en sept mois de répression sanglante, elle a entrepris de se donner une structure capable de porter le message politique du soulèvement contre Bachar el-Assad.

Pour des raisons de sécurité évidentes, c’est à l’extérieur de la Syrie, à Istanbul, en Turquie que vient de se constituer solennellement, le 2 octobre, le Conseil national syrien, le CNS qui se réclame de l’ensemble des composantes politiques du pays. Il rassemble en effet aussi bien des laïcs que des Frères musulmans, mais aussi des comités de coordination locaux regroupant les jeunes qui ont initié la contestation et des représentants des différentes couleurs politiques de Syrie. Le CNS s’est donné pour chef de file Bohrane Ghalioun, un professeur de sociologie politique installé en France. Une personnalité très respectée en Syrie.

Lundi, l’Union européenne a salué l’avènement du CNS comme la manifestation des « efforts des populations syriennes pour établir une plateforme » politique unifiée. Et le chef de la diplomatie française, Alain Juppé a fait le déplacement pour aller saluer Borhane Ghalioun comme son maître d’œuvre lors d’une soirée organisée à Paris, au Théâtre de l’Odéon, par des artistes, des intellectuels et des personnalités politiques françaises réunis pour appeler les citoyens français à se solidariser avec le peuple syrien.

Le CNS n’a pas le monopole de l’opposition

Pour autant, ni la France ni l’Union européenne n’ont encore investi le CNS de la seule représentativité légitime de la Syrie comme cela avait été fait pour le Conseil de transition Libyen. Une décision stratégique face à une situation dont l’issue reste incertaine. Mais il est clair aussi que le CNS n’est pas le seul sur la scène de l’opposition syrienne. Reste que ceux qui n’ont pas été sollicités pour en faire partie ou qui ont préféré suivre leur propre chemin politique répugnent à se positionner comme des concurrents ou des adversaires.

Face à un régime qui s’efforce de faire taire les revendications démocratiques « en déployant plus de 3 000 chars et en utilisant aussi ses avions de chasse, ses hélicoptères et ses navires de guerre », comme le souligne l’avocat et défenseur des droits de l’homme Haitham Maleh, l’opposition doit admettre « l’expression de toutes les sensibilités politiques sans exclusive ». C’est effectivement ce que répètent de Washington à Paris en passant par Stockholm ou Berlin les opposants animés par des convictions de longue date comme les nouveaux-venus parfois peut-être motivés par l’espoir de se voir coopter dans une transition qui ne s’annonce pourtant pas encore pour demain.

Lundi la presse française était conviée dans un grand hôtel parisien à la naissance d’une Alliance syrienne pour la démocratie face aux caméras de la chaîne syrienne Orient TV qui s’est repliée aux Emirats en juillet dernier pour échapper aux foudres du régime el-Assad. Le père fondateur de cette nouvelle Alliance, le docteur Ayham Haddad, un médecin basé à Washington, n’a pas voulu révéler sa composition nominative en invoquant des questions de sécurité. Il a en revanche insisté sur son double credo : « non à l’islam politique » et « des technocrates comme solution » transitoire après 40 ans de totalitarisme politique. Ce sera aux Syriens d’apprécier l’initiative.

A Damas l’opposition fait face à la répression

« Nous somme face à un dilemme, avec d’un côté une violence sans fin qui ne parvient toutefois pas à empêcher le peuple de se soulever et, de l’autre, un soulèvement courageux qui n’arrive pas à faire tomber le régime », relève pour sa part l’écrivain Michel Kilo, grande figure de l’opposition. Il arrive tout droit de Damas où il rappelle avoir « vécu une longue nuit dans le secret, la clandestinité ou même en prison » sous Bachar el-Assad pour avoir cru à un printemps syrien lorsque le fils à succédé au père Hafez el-Assad en 2000. Michel Kilo a en effet payé le prix de la Déclaration de Damas qui réclamait liberté et changement en 2005.

A Damas où il entend retourner, « les mains en l’air » si nécessaire, Michel Kilo soutient une Coordination du changement national et démocratique en Syrie. Un mouvement d’opposition transcommunautaire et à forte composante nationaliste qui a tenu Congrès en Syrie le 17 septembre pour élire des représentants ce qui a été l’occasion d’une tentative de récupération du régime. Michel Kilo en convient, l’opposition ne peut pas jouer sa partition de la même manière à l’intérieur et à l’extérieur du pays. D’après lui, le CNS constitue un pas en avant dans la structuration de la lutte contre le régime et les contestataires de l’intérieur ont tous très largement applaudi sa formation.

Mais à l’intérieur aussi la durée du soulèvement témoigne d’une meilleure organisation des opposants, pour multiplier les points de départ des manifestations dans tout le pays, pour porter secours aux victimes de la répression, pour diffuser des mots d’ordre contre le danger d’une confessionnalisation ou encore pour déjouer les manœuvres de division du régime qui essaie par exemple de faire croire régulièrement à la création d’un « émirat salafiste » dans telle ou telle ville insurgée.

La chute du régime sinon rien

Pour Michel Kilo, il n’y a pas de compromis possible avec le régime. En refusant d’entendre les revendications, en trompant l’attente de l’opposition par de fausses promesses, en essayant de ramener la situation à ce qu’elle était avant le début de l’insurrection le 17 mars dernier, le pouvoir el-Assad s’est lui-même fermé toute porte de sortie. Pire encore, il pousse l’opposition vers la résistance armée avec ses réactions purement sécuritaires et la brutalité des milices et de l’armée déployée partout dans le pays et en particulier aux frontières sensibles du Liban, de l’Iran, de l’Irak ou de la Turquie.

La hantise d’une guerre civile ou d’une ingérence étrangère

A l’intérieur comme à l’extérieur, les opposants syriens expriment tous leur hantise d’une guerre civile qui provoquerait l’explosion de la mosaïque confessionnelle et communautaire syrienne. Ils craignent tout autant les provocations militaires du régime qui pourraient induire l’intervention d’un pays voisin. Plus largement, c’est l’idée d’une intervention extérieure qui fait débat dans l’opposition syrienne.

Le CNS a en effet appelé l'ONU à respecter ses obligations de protection des civils. Ce qui, comme on l'a vu en Libye, exige à un moment donné le recours à la force. Une menace d’ingérence dans un pays historiquement marqué par le souvenir du mandat français par exemple. Avec les militants de la Coordination, Michel Kilo appelle à une « solidarité citoyenne » internationale, à l’envoi d’observateurs et à tout autre moyen de pressions sur le régime restant à inventer, mais se déclare farouchement hostile à toute tentation de régler la crise syrienne de l’extérieur.

L’opposition s’oppose en revanche unanimement à une quelconque intervention de l'Otan sur le modèle libyen auquel elle reproche en particulier l’implication directe et pas totalement désintéressée de pays comme la France et le Royaume-Uni. La souveraineté de la Syrie de demain en dépend. Mais les Syriens soulignent aussi que leur pays n'a pas de profondeur géographique et qu’une intervention militaire ferait quantité de morts. Enfin ils notent qu’en Syrie, il n'existe pas – encore - de mouvement de lutte armée à soutenir comme ce fut le cas en Libye avec le Conseil national de transition.

Les désertions dans l’armée syrienne ne concerneraient pas plus d’un millier de soldats et seulement deux officiers supérieurs – en dessous du grade de général. Les opposants rapportent pourtant que certains soldats vont jusqu’à se joindre aux manifestants en se mettant civil avant d’endosser à nouveau l’uniforme et de faire la grève du zèle. Mais le régime tient son armée d’une main de fer et la plupart des opposants ne croient pas vraiment que l’armée puisse changer de camp. Au mieux certains espèrent-ils que les soldats syriens finiront par mettre l'arme au pied quand ils seront convaincus qu’il n’y a plus rien à gagner à protéger les intérêts de Bachar el-Assad.

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