Pourquoi les Palestiniens vont-ils à l’ONU ?

Le président palestinien Mahmoud Abbas s’exprimera le 23 septembre 2011 à la tribune des Nations unies à New York. Dans la foulée, il remettra à Ban Ki-moon, le secrétaire général de l’Organisation, une demande d’adhésion de la Palestine en tant que 194e Etat membre de l’ONU. Au-delà des incertitudes sur le succès d’une telle démarche, ce cheminement révèle l’exaspération des Palestiniens, 18 ans après les accords de paix d’Oslo.

« Nous ramenons ledossier palestinien à l’ONU, c’est là qu’il est à sa place », a déclaré, le 15 septembre 2011, le ministre palestinien des Affaires étrangères Riyad al-Maliki. Quelles sont les raisons de ce choix ? 

Parce que les négociations israélo-palestiniennes sont bloquées

En septembre 2010, après des mois d’efforts, l’administration Obama a réussi à relancer le dialogue israélo-palestinien, interrompu depuis l’opération « Plomb durci » dans la bande de Gaza, durant l’hiver 2008-2009.

Il y a un an donc, le président palestinien Mahmoud Abbas et le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu se sont retrouvés pour quelques séances de discussions, à Charm el-Cheikh en Egypte, et à Jérusalem. Mais immédiatement, le dialogue s’est interrompu, Israël ayant refusé de prolonger son gel partiel de 10 mois de la colonisation dans les Territoires palestiniens.

Parce que la colonisation se poursuit
 
Pour les Palestiniens, pas question de négocier tant que les bulldozers israéliens travaillent à construire de nouveaux logements ou de nouvelles routes dans les territoires revendiqués pour y établir le futur Etat palestinien. Les Palestiniens estiment que la colonisation crée une situation de fait accompli sur le terrain, en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, et ils redoutent qu’à terme « il n’y ait plus rien à négocier ».

Parce qu’ils n’attendent rien de l’actuel gouvernement israélien

La coalition actuellement au pouvoir en Israël est la plus à droite de l’histoire du pays. Elle réunit, entre autres, le Likoud du Premier ministre Benyamin Netanyahu, le parti ultranationaliste Israel Beitenou du ministre des Affaires étrangères Avigdor Lieberman, les religieux sépharades du Shass et le parti Haatsmaout créé par le ministre de la Défense, Ehud Barak, lorsque ce dernier a quitté le Parti travailliste début 2011.

Cet ancrage à droite n’a pas empêché Benyamin Netanyahu de prononcer, en 2009, son « discours de Bar Ilan » dans lequel il admettait, pour la première fois, l’idée d’un Etat palestinien. Le même gouvernement a également imposé un moratoire inédit de 10 mois sur la construction de nouveaux logements en Cisjordanie.

Néanmoins, les Palestiniens n’en attendent rien, surtout depuis que Benyamin Netanyahu a refusé d’endosser l’idée des « frontières de 1967 » comme point de départ à la négociation sur les contours du futur Etat palestinien.

Parce que les Palestiniens ont posé les fondations de leur Etat

En août 2009, le gouvernement palestinien de Salam Fayyad a lancé un chantier de deux ans baptisé « Building Palestine » (construire la Palestine). Deux ans plus tard, le bilan rédigé par le Premier ministre palestinien s’intitule « A success story ». Sous occupation, les Palestiniens ont bâti leurs institutions (douanes, autorité monétaire, comptes publics, services de sécurité…). En 2011, la Banque mondiale, le FMI, et l’ONU ont salué ces progrès et la capacité des Palestiniens à gérer un Etat. Cela dit, des nuages planent sur ces succès : l’absence de perspective politique et la fragilité du financement international.

Parce que le statut d’Etat offre de nouveaux outils juridiques aux Palestiniens

Même si le veto américain probablement annoncé au Conseil de sécurité de l’ONU ôte aux Palestiniens la possibilité d’être admis comme 194e Etat membre de l’ONU, les Palestiniens peuvent se tourner vers d’autres procédures. Par exemple, devenir « Etat non-membre » de l’ONU (comme le Vatican) grâce à un vote de l’Assemblée générale des Nations unies. Pour les Palestiniens, ce statut leur permettrait d’adhérer à de nouvelles institutions, notamment la Cour internationale de justice (CIJ) de La Haye, voire la Cour pénale internationale (CPI).

Parce qu’une vaste majorité d’Etats soutient la demande palestinienne

Une centaine de pays ont reconnu la Palestine, lorsque Yasser Arafat a symboliquement déclaré son indépendance, à Alger en 1988. Ces derniers mois, des pays d’Amérique du Sud et d’Amérique centrale ont, à leur tour, reconnu l’Etat palestinien (certains d’entre eux dans les frontières de 1967, d’autres sans mentions territoriales). Aujourd’hui, les Palestiniens estiment que plus de 125 pays (sur les 193 Etats membres de l’ONU) soutiennent la reconnaissance de leur futur Etat. Et en cas de vote dans les prochaines semaines, de 130 à 150 Etats pourraient voter « oui » à l’Etat palestinien.

Parce que Barack Obama a parlé d’un Etat palestinien « en 2011 »

A la tribune de l’ONU, en septembre 2010, le président américain avait évoqué la perspective d’accueillir, un an plus tard, un nouvel Etat, celui de Palestine, dans l’enceinte internationale. Des mots que les Palestiniens n’ont pas oubliés et rappellent régulièrement.

Plus généralement, l’Autorité palestinienne est porteuse d’une exaspération largement partagée par la population, dix-huit ans après la signature des accords de paix d’Oslo. Avant Barack Obama, George Bush s’était, lui aussi, risqué à prendre date pour la naissance d’un Etat palestinien. Il avait successivement donné comme échéance 2005, puis 2008.
 
Parce que l’Autorité palestinienne a besoin de crédibilité

Las ou en colère, nombreux sont les Palestiniens à ne plus croire à la voix des négociations. Obtenir un Etat – même symbolique – à l’ONU permettrait à l’Autorité palestinienne et à son président Mahmoud Abbas de ne pas apparaître, une fois de plus, comme les dindons de la farce. Pour l’Autorité palestinienne et le Fatah (parti majoritaire au sein de l’OLP), il s‘agit aussi de concurrencer le Hamas. Une victoire diplomatique à l’ONU pourrait renforcer la direction palestinienne dans son face-à-face avec le parti islamiste qui règne sur la bande de Gaza. Hamas et Fatah ont signé un accord de réconciliation au printemps 2011 mais il reste inappliqué.

Pour essayer de changer le rapport de force

Le pari palestinien est d’engranger un large soutien international à l’ONU (dans des modalités encore incertaines). Cela dit, Mahmoud Abbas a été très clair en s’adressant à son peuple le 16 septembre 2011 : il faudra bien négocier avec Israël pour résoudre les dossiers clés du processus de paix : frontières, statut de Jérusalem, question des réfugiés, arrangements de sécurité et partage de l’eau. La stratégie palestinienne ne consiste pas à tourner le dos aux négociations mais à y revenir, un jour ou l’autre, avec un rapport de force plus favorable. L’idée comporte une bonne dose d’incertitude, plusieurs dirigeants israéliens demandent des mesures unilatérales, voir l’annulation des accords d’Oslo, au cas où les Palestiniens iraient au bout de leur démarche onusienne. 

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