De notre correspondant à Beyrouth,
Après la publication de cet acte d’accusation de 54 pages, les parties concernées ont campé sur leurs positions. Saad Hariri, fils et héritier politique de Rafic Hariri, a estimé que cette décision constitue « un pas décisif vers la justice et la vérité ». Le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a pour sa part affirmé que le document ne contient « aucune preuve directe ». Il a dénoncé un complot ourdi par les Israéliens et les Américains pour ternir l’image de son parti et provoquer une guerre civile entre sunnites et chiites au Liban.
La publication de l’acte d’accusation n’est pas un développement spectaculaire ou inattendu. Il s’agit d’une étape supplémentaire dans la procédure judicaire et prépare le terrain pour le jugement par contumace des quatre accusés, au cours d’un procès qui pourrait débuter dès l’automne prochain.
Dans ce procès, le procureur du TSL, le Canadien Daniel Bellemare, se basera sur des « preuves circonstancielles » pour faire condamner les accusés Moustapha Badreddine, Salim Ayyache, Hussein Oneissi et Assaad Sabra, responsables, selon lui, de l’attentat de février 2005, qui a tué, outre Rafic Hariri, 21 autres personnes.
La reconstitution du crime
Les preuves reposent donc « en grande partie sur des preuves circonstancielles, qui opèrent logiquement par inférence et déduction ». L’accusation précise que les preuves circonstancielles, ou indirectes « sont souvent plus fiables que les preuves directes ». Un « principe général de droit reconnu », dit l’acte. Ces preuves circonstancielles reposent principalement sur l’analyse des communications téléphoniques. Les registres - qui indiquent les numéros des appels entrants et sortants, la date, l’heure, le type et la durée d’un appel, ainsi que l’emplacement approximatif des téléphones mobiles - du 14 février 2005, ont permis de remonter la piste de cinq réseaux concentriques. Dans l’ordre de dissimulation, le vert auquel appartient M. Badreddine, le rouge auquel appartient M. Ayyache, le bleu, le jaune et le violet auxquels appartiennent MM. Oneissi et Sabra.
Le texte explique que « pendant au moins 20 jours, du 11 novembre 2004 au 14 février 2005, Salim Ayyache et d’autres membres de l’équipe de l’exécution de l’assassinat ont procédé à l’observation et à la surveillance de Rafic Hariri, en vue de connaître les itinéraires et les mouvements de son convoi ainsi que la position de son véhicule au sein de celui-ci ». MM. Oneissi et Sabra étaient chargés de « repérer un inconnu susceptible d’être instrumentalisé aux fins de revendiquer faussement, dans un enregistrement vidéo, la responsabilité de l’attentat ». D’après l’accusation, le Palestinien Ahmad Abou Adas est repéré entre décembre 2004 et janvier 2005. Le 11 janvier, Salim Ayyache se rend dans le quartier d’Al-Beddaoui à Tripoli, au Liban-Nord, où il repère la camionnette Mitsubishi qui transportera les 1000 kilogrammes d’explosif ayant servi à l’attentat. Elle est achetée le 25 janvier pour la somme de 11250 dollars. Les contacts entre MM. Badreddine et Ayyache deviennent de plus en plus fréquents. Rafic Hariri est constamment surveillé.
Le 14 février 2005, les réseaux verts et rouges sont en place. Ils sont postés entre la résidence de Rafic Hariri à Beyrouth, le siège du Parlement dans le centre-ville et l’hôtel Saint-Georges où a eu lieu l’attentat. A 11h58, Moustapha Badreddine donne à Salim Ayyache « l’autorisation finale pour commettre l’attentat ». L’appel dure 14 secondes. À 12h50, Hariri quitte le Parlement pour rentrer chez lui en voiture. L’activité des téléphones est très soutenue jusqu’à 12h52, heure où la camionnette se positionne à la hauteur de l’hôtel Saint-Georges. À 12h55, un kamikaze fait exploser la Mitsubishi.
Ce n’est qu’à la page 26 de l’acte d’accusation qu’il est indiqué que « les quatre accusés sont des sympathisants du Hezbollah ». Il est également rappelé que MM. Badreddine et Ayyache ont des liens de parenté avec le chef militaire légendaire du Hezbollah, Imad Moughnié, assassiné à Damas en 2008.
A 14h11, MM. Oneissi et Sabra appellent le bureau de l’agence Reuters, en indiquant que l’attentat avait été effectué par un groupe fondamentaliste Victoire et Jihad en Grande Syrie. Plus tard, les deux hommes contactent les bureaux de la chaine qatarie Al-Jazira et indiquent un arbre à proximité des locaux de la chaine. Au pied, ils retrouveront un enregistrement vidéo sur laquelle Ahmad Abou Adas revendiquait l’attentat.
Hariri satisfait
Saad Hariri est le premier à réagir à un acte d’accusation dont les grandes lignes avaient déjà fait l’objet, en mai 2009, d’une enquête dans le Der Spiegel allemand et en octobre 2010, d’un documentaire à la télévision canadienne CBC. L’ancien Premier ministre a espéré que « le commandement du Hezbollah et en particulier Hassan Nasrallah va prendre une décision historique, cesser sa fuite en avant et annoncer une coopération totale avec le TSL pour que les accusés soient livrés et que soit entamé un procès équitable ».
L’ancien ministre Marwan Hamadé, lui-même la cible d’un attentat en octobre 2004, a eu une réaction plus politique. « Nous ne pouvons pas supporter longtemps un gouvernement qui protège des accusés, de même que nous ne pouvons pas cohabiter politiquement avec un parti qui considère que des accusés de meurtre sont des saints », a-t-il dit.
Nasrallah dénonce un complot
Réagissant quelques heures plus tard, Hassan Nasrallah a estimé que « l’analyse des communications à travers un réseau de téléphones portables constitue une preuve indirecte qui ne démontre pas l’implication » des quatre membres de son parti dans l'assassinat.
Le chef du Hezbollah a dénoncé la « partialité et le manque de transparence » du TSL, soulignant que le document publié n’est que le résultat de « fuites médiatiques ». Selon lui, il existe un complot fomenté contre la « Résistance » visant à l’entraîner dans une guerre civile et un conflit interne. « L’objectif est de saper la Résistance et d’entraîner la communauté chiite dans une situation de conflit avec les autres confessions. Le but est de détruire le tissu social et confessionnel au Liban », a-t-il souligné. Hassan Nasrallah a enfin accusé la coalition pro-occidentale du 14-Mars de participer à ce complot contre le Hezbollah « qui échouera comme toutes les autres conspirations. »
La publication de l’acte d’accusation accentue la polarisation politique et populaire au Liban, dans un contexte régional très délicat. Le fossé entre les deux camps s’est creusé davantage et l’absence de tout dialogue ne présage rien de bon pour l’avenir du pays. Les informations faisant état de la publication d’annexes ou d’autres actes d’accusation, impliquant de hauts dirigeants du Hezbollah, voire des responsables syriens ou iraniens, transforme cette affaire en bras de fer régional qui risque d’échapper à tout contrôle.