La Turquie, témoin privilégié de la crise syrienne

Poussée par l’afflux de réfugiés sur son territoire et à sa frontière, la Turquie prend de plus en plus ses distances vis-à-vis de son voisin syrien, qui refuse d’entendre les appels d’Ankara à accélérer les réformes. Dans son discours lundi 20 juin 2011 Bachar el-Assad a lancé un appel aux déplacés et réfugiés pour qu’ils rentrent chez eux, mais dans le camp de Kharbet al-Joz, où campent ceux qui ont fui la répression à Djisr el-Choughour, il n’en est pas question.

De notre envoyé spécial à la frontière turco-syrienne

Partout dans le camp, résonnait le discours du président syrien, retransmis par les autoradios et par quelques postes de télévision. Attentivement écouté et regardé, mais rapidement rejeté : des cris ont commencé à fuser, une homme a saisi sa chaussure pour aller frapper l’image du président sur l’écran, un autre a commenté : « il nous demande de rentrer à la maison pour mieux nous jeter en prison, et ensuite nous découper en morceaux, oui, c’est ça, il veut nous découper en morceaux ! ».

Plus loin, sous un arbre abritant un petit groupe de contestataires très remonté, le son du téléviseur était couvert par leurs chants : « menteur, menteur, Bachar el-Assad ! », rapidement suivi de : « Merci, Erdogan, merci, Erdogan ! » Sans surprise, les annonces du président syrien ont fait un flop, comme dans les camps du Croissant-Rouge, en Turquie : « tant qu’il reste au pouvoir, nous ne rentrerons pas », a réagi un jeune.

Dans le camp de Kharbet al-Joz, les familles continuent d’arriver, enfants dans les bras et baluchons sur la tête. Ce père de famille explique que, depuis quinze jours, il habitait dans les bois, à quelques kilomètres, mais que ses enfants étant régulièrement malades, alors il préfère se rapprocher du point de passage avec la Turquie, où le Croissant-Rouge a commencé samedi à distribuer de l’aide humanitaire. Quand nécessaire, les malades et les blessés sont évacués pour être soignés en Turquie.

Ankara s’est donc fortement investi dans cette crise syrienne, prenant à bras le corps son aspect humanitaire d’abord, tout en augmentant la pression sur le régime de Bachar el-Assad. C’est ce qui vaut au Premier ministre Tayyip Erdogan et à son ministre des Affaires étrangères Ahmet Davutoglu une telle cote de popularité. Lundi, le président de la République n’a d’ailleurs pas tardé à réagir, lui aussi, aux propos du raïs syrien : « Il doit donner un message plus clair et présenter un programme démocratique. (le Président) el-Assad annonce beaucoup de choses mais la plupart restent sur le papier. Il doit être explicite et déterminé. Il doit annoncer le passage au multipartisme et parler ouvertement à son peuple », a-t-il indiqué, en des termes bien peu diplomatiques.

Les Turcs ont longtemps pensé, comme avec le régime du colonel Khadhafi, que leurs bonnes relations avec Bachar el-Assad leur donnaient la légitimité pour inspirer des réformes démocratiques en Syrie. Ankara avait même prévenu amicalement, dès les premières violences en Tunisie au mois de janvier, qu’il était temps pour les Syriens de choisir la voie de la démocratie, avant qu’il ne soit trop tard. Mais Bachar el-Assad, occupé à mater la contestation, fait la sourde oreille, et depuis le début de l’exode de la population syrienne jusqu’en territoire turc, le gouvernement se montre de plus en plus agacé par cette obstination.

La tournée surprise du commandant en chef de l’armée de terre, le général Erdal Ceylanoglu, samedi dans le village turc de Güveççi, qui surplombe le camp de Kharbet al-Joz, d’où sont arrivés la plupart des réfugiés, montre qu’Anakara ne prend pas cette affaire à la légère. Le Premier ministre Erdogan devrait d’ailleurs envoyer prochainement un émissaire à Damas toujours pour faire changer d’attitude le président syrien. Mais rien n’indique qu’il obtiendra gain de cause, et que les réfugiés pourront prochainement rentrer chez eux. Autour du camp de toile, ça et là les contestataires syriens ont planté des drapeaux turcs : « pour dissuader l’armée syrienne de s’approcher », dit l’un,« pour montrer à Bachar el Assad qu’on préfère le régime turc que le sien », dit l’autre.

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