Les propos du général McChrystal accordés à la revue Rolling Stone, vendredi 18 juin 2010, ont provoqué la colère à la Maison Blanche. Dans ce brûlot d'une quinzaine de pages, le commandant en chef des forces alliées en Afghanistan et son entourage sont très critiques à l'égard de l'administration Obama.
Des propos explosifs qui font apparaître au grand jour les tensions et les profondes divisions entre l'armée et l'exécutif américain, notamment entre McChrystal et le vice-président Joe Biden, mais aussi avec le général David Petraeus, actuel patron des opérations militaires en Irak et en Afghanistan qui a justement été nommé par le président américain pour succéder à McChrystal, à la tête de l'ISAF, la force internationale en Afghanistan.
Une impression de cacophonie
Barack Obama n'a donc pas traîné pour révoquer le général McChrystal, en charge des opérations en Afghanistan. Quelques heures après l'entretien qui n'a duré qu'une demi-heure, le président américain a souligné qu'il n'y avait aucune divergence quant à la stratégie à adopter en Afghanistan. Il a également fait savoir qu'il ne tolérerait aucune division dans son entourage sur cette stratégie. Pourtant les divergences sont là et aussi une impression de cacophonie.
« C'est évidemment extrêmement dommageable que l'ensemble du système de décision américain soit à ce point divisé. On a assisté à des fuites et à des contre-fuites de la presse l'an dernier, en septembre. Il y avait tout un débat autour de McChrystal, qui visait en fait à exercer une pression justement via ces fuites vers les médias », explique Etienne de Durand, responsable du laboratoire de recherches sur la défense à l'IFRI. Et d'ajouter : « Cette impression de cacophonie n'est donc pas seulement due à McChrystal, loin de là. C'est malheureusement quasiment l'ensemble des acteurs du système de décision américain qui sont impliqués, et cela ne date pas d'aujourd'hui ».
Des désaccords plus profonds sur la stratégie à tenir en Afghanistan
Tout le débat actuel aux Etats Unis tourne autour de la nouvelle stratégie américaine contre les talibans, mise en œuvre par McChrystal, en fonction depuis un peu plus d'un an. Et ce qui n'était au départ qu'une indiscrétion faite par un journal est devenu le révélateur de désaccords plus profonds sur la stratégie à tenir en Afghanistan.
« Cela indique le désarroi et les désaccords à l'intérieur de l'administration américaine, entre les tenants d'une attitude plus offensive, comme M. McChrystal, et une bonne partie de l'administration comme Robert Gates, le président et probablement M. Petraeus, le général le plus important dans cette affaire et qui sont ' pour ' préparer les conditions d'un retrait si possible honorable », déclare Gérard Chaliand, géostratège, spécialiste des conflits armés et auteur de Géopolitique des empires. Des pharaons à l'imperium américain, publié aux éditions Arthaud.
Lâchés par le pouvoir civil
Quoique rare, le limogeage d'un général en pleine guerre n'est pas sans précédent dans l'histoire américaine.
Nous pouvons citer le cas du général George McClellan, chef militaire du président Lincoln pendant la guerre de Sécession. McClellan a été démis de ses fonctions pour avoir été contre l’émancipation des esclaves et en raison de multiples erreurs tactiques durant la guerre contre les sudistes. Ou encore la mise à pied du général Douglas MacArthur, véritable légende de la Seconde Guerre mondiale, qui avait ignoré une proposition de cessez-le-feu du président Harry Truman pendant la guerre de Corée tout en prônant l'utilisation de l'arme nucléaire contre la Chine. Et puis l'on peut citer la guerre du Vietnam, pendant laquelle les militaires ont eu l'impression d'être lâchés par le pouvoir civil. Ce même constat est partagé par les militaires en Irak et aujourd'hui en Afghanistan.
« Dans cette tradition née de la rupture de la guerre du Vietnam, on pourrait considérer que le général McChrystal a trouvé ce biais pour faire en sorte de ne pas être accusé d'une faillite éventuelle de la politique de l'administration Obama en Afghanistan », explique André Rakoto, l'un des meilleurs spécialistes de l'armée américaine qui travaille aux archives du ministère français de la Défense.
« En prenant cette position dans la presse, le général McChrystal essaye de faire savoir qu'il ne partage pas toutes les décisions au niveau stratégique du président Obama, dont il faut rappeler que le président lui-même est le premier d'une grande lignée à ne pas avoir effectué un service militaire », ajoute-t-il.
Le général McChrystal, qui avait pris ses distances avec l'administration, a été la cible de nombreuses critiques ces derniers mois. Comme pour l'opération menée à Marjah, dans la province du Helmand, un des fiefs des insurgés islamistes. L’offensive appelée Mushtarak (« Ensemble »), lancée en février dernier aurait offert aux talibans, selon les critiques, l'occasion de miner le terrain, ce qui a entraîné de nombreuses pertes civiles.
Le seul Américain sur le terrain à être proche du président afghan Hamid Karzaï
D'un autre côté, McChrystal n'a pas que des ennemis. Ses partisans estiment au contraire qu'une opération de stabilisation et de reconstruction prend du temps, des mois, voire des années. La nouvelle stratégie militaire mise en place récemment demande du temps. Etre présent sur le terrain, se rapprocher de la population civile et éviter les dommages collatéraux l'ont rendu populaire auprès de ses interlocuteurs afghans. McChrystal est aussi le seul Américain sur le terrain à être proche du président afghan Hamid Karzaï.
« Hamid Karzaï est en désaccord profond avec la politique menée par le président Obama depuis plusieurs mois déjà. Il semble estimer que la situation s'est largement dégradée. Son allié le plus décidé sur le terrain est le général McChrystal dans la mesure où, lui, veut frapper le plus fort possible les talibans et, à cet égard, il est utile au président afghan dans la négociation finale, puisqu'en fin de compte, aujourd'hui, on ne fait que négocier tout en intensifiant la guerre », explique Gérard Chaliand.
Une guerre qui dure maintenant depuis presque neuf ans et qui a détrôné celle du Vietnam comme étant le conflit le plus long de l'histoire des Etats-Unis. 100 000 G.I. sont engagés dans cette guerre contre les talibans en Afghanistan aux côtés de 50 000 soldats de l'OTAN. Depuis l'invasion de l'Afghanistan fin 2001, environ 1 870 soldats étrangers ont été tués au combat.
Reste à savoir si la grande offensive dans la province de Kandahar, au sud du pays, retardée pour permettre aux forces afghanes d'être totalement opérationnelles, sera un succès et que l'armée américaine pourra se retirer du pays à la mi-2011, comme le prévoit Barack Obama. Il s'agit là d'un test décisif, aussi bien pour Obama puisqu'un succès militaire lui ouvrirait les portes d'un renouvellement de mandat0 que pour le général Petraeus, qui doit honorer ses engagements et tenter de sortir gagnant de ce piège afghan.