Qu'est ce qui justifie la réintégration de l'Egypte au sein de l’Union africaine ?
D'abord, le poids de l'Egypte. L'UA sans la première armée du continent, l'UA sans l'un des plus gros contributeurs de l'organisation panafricaine, c'est difficile à admettre pour beaucoup de chefs d'Etat africains. Le président Abdelfatah Al-Sissi l'a bien compris. Dans son discours très applaudi, le 26 juin dernier, à Malabo, il a annoncé : 1 - une contribution de l'armée égyptienne à des missions de paix sur le continent - on pense notamment à la future force des Nations unies en Centrafrique : un contingent égyptien pourrait débarquer à Bangui en septembre. 2 - la création à partir du 1er juillet d'une agence de partenariat pour le développement, qui formera au Caire des cadres africains.
Est-ce une bonne nouvelle pour l’Afrique ?
Pour beaucoup de pays africains, le retour de l'Egypte dans l'UA est une bonne nouvelle en termes militaires et financiers. Mais c'est aussi un renfort politique en ces temps de lutte contre les intégristes religieux. N'oubliez pas que ce 23è sommet de l'UA s'est tenu au moment où les islamistes de Boko Haram défient le pouvoir nigérian, et au moment où les extrémistes shebab de Somalie multiplient les attaques sur le territoire kényan. Pour faire simple, depuis l'attaque du centre commercial Westgate à Nairobi, en septembre dernier, des pays subsahariens qui se croyaient à l'abri de la menace jihadiste se sentent visés à leur tour.
Le jihadisme n'est plus seulement perçu comme une menace pour le Sahel, mais pour tout le continent. Et pour beaucoup de chefs d'Etat africains, Abdelfatah Al-Sissi, c'est le militaire égyptien qui a fait plier les Frères musulmans. « Oui, il a fait couler le sang. Mais si c'est le prix à payer, tant pis », pensent de nombreux dirigeants africains. D'ailleurs, le nouveau Raïs égyptien assume son rôle de champion de la lutte contre l'extrémisme religieux. Lors de son discours du 26 juin, il a eu ce mot : « La révolution du 30 juin 2013 - sous entendu le coup de force militaire de l'an dernier contre le président élu Mohamed Morsi - a évité à l'Egypte la guerre civile et le chaos. Aujourd'hui, certains pays voisins - sous entendu la Libye - se retrouvent dans le chaos et en paient le prix fort ». Bref, le nouveau régime d'Al-Sissi est non seulement réintégré dans l'UA, mais il est presque porté en triomphe !
C'est d'autant plus frappant que ce régime est issu d'un coup de force, comme vous l'avez dit, et que, depuis quinze ans, la charte de l'Union africaine proscrit tous les régimes issus d'un changement anticonstitutionnel du pouvoir ! Comment les idéologues de l'Union africaine assument-ils cette contradiction ?
Ils l'assument difficilement, c'est vrai. Mais ils ont une parade. C'est le printemps arabe. « En 2011, disent-ils, en Tunisie, en Egypte, en Libye, plusieurs régimes ont été renversés par la rue ou par la force - c'est selon - et les nouveaux dirigeants de ces pays n'ont pas été sanctionnés. Première entorse à la charte de l'UA. A partir de là, pourquoi ne pas réintégrer un régime issu d'une révolution menée il y a un an en Egypte à la fois par la rue et par l'armée ? » C'est la question que pose notamment le ministre algérien des AE, Ramtane Lamamra, qui a longtemps été le commissaire de l'UA à la paix et à la sécurité à Addis-Abeba. « C'est vrai que le printemps arabe pose des problèmes considérables à la doctrine africaine en matière de changement anticonstitutionnel de gouvernement, concède-t-il. Aujourd'hui, il y a des changements de pouvoir qui n'entrent pas complètement dans la constitution, mais qui ne sont pas forcément contre la volonté populaire, ajoute-t-il. Il faut actualiser et affiner notre doctrine ». Bref, après ce 23è sommet de l'UA, il y aura donc une jurisprudence Al-Sissi. Et dans certains cas, les coups de force seront validés par l'Union africaine.