Antonovs et Sukhoi, ces avions de fabrique soviétique employés par les forces armées soudanaises (Sudan Armed Forces, SAF) continuent de bombarder des villages du Darfour mais aussi les régions du Sud-Kordofan et du Nil Bleu. En novembre 2013, Khartoum a lancé une offensive baptisée « été chaud » pour éradiquer les différentes rébellions. Au Sud-Kordofan, les attaques des milices gouvernementales (Rapid Support Forces, RSF, et PopularDefence Forces, PDF) auraient causé depuis avril le déplacement de plus de 113 000 personnes, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Selon International Crisis Group, le gouvernement aurait largué pas moins de 5 000 bombes de septembre 2011à mars 2013 dans la région du Nil Bleu où le conflit est pourtant de plus faible ampleur.
Les RSF ont été en partie recrutés parmi les Janjaweed, des milices arabes du Darfour connues pour les crimes de masse commis à partir de 2003 sur ordre du gouvernement. C’est d’ailleurs dans cette région qu’ils poursuivent leurs raids. Selon Ivo Freijsen, chef du bureau des Affaires humanitaires de l’ONU au Soudan, ces attaques rappellent celles du début d’un conflit que certains, en particulier le gouvernement américain, considèrent comme un génocide en cours depuis plus de dix ans.
« Environ 4 millions de personnes sont affectées »
Au Darfour et ailleurs, ces violences ne sont pas près de s’achever : fin mai, le ministre de la Défense, Abdurrahim Mohamed Hussein, a lancé la « seconde vague » de l’offensive d’été. Selon l’agence de sécurité alimentaire Famine Early Warnings System Network (FEWS-NET), au moins 40 % des populations déplacées au Sud-Kordofan et celles des villages qui les hébergent seront victimes d’urgence humanitaire avant le mois de septembre. A cela, il faut ajouter les presque 85 000 réfugiés Sud-Soudanais venus trouver asile de l’autre côté de la frontière pour fuir la guerre civile.
Sans accès à de nombreuses zones, difficile de chiffrer le coût humain des conflits. Mais en tenant compte des chiffres officiels et ceux des médias informels opérant dans les zones rebelles, « environ 4 millions de personnes sont affectées directement par les conflits au Soudan », estime Jérôme Tubiana d’International Crisis Group.
Outre l’escalade des violences et du nombre de déplacés, le retour dans sa région natale de Musa Hilal est source de grande inquiétude au Darfour. Accusé d’avoir perpétré des atrocités aux côtés des forces gouvernementales durant les premières années du conflit, il a créé depuis un groupe politique, le Sudanese Awakening Revolutionary Council, qui entend renverser le gouverneur du Darfour-Nord et s’allier avec le Front révolutionnaire soudanais (FRS) qui rassemble les principaux groupes rebelles.
Un manque de financements effarant
Dans un communiqué publié début juin, Ali al-Za’tari, le coordinateur humanitaire des Nations unies au Soudan, met en garde contre un nombre de victimes « sans précédent » dans les mois à venir si les Nations unies ne bénéficient pas d’un financement adéquat. Interrogé par RFI, Ivo Freijsen a ajouté que la situation globale du pays est « pire que jamais. (...) La propagation des violences au Sud-Kordofan et au Nil Bleu est doublée d’un manque de financements effarant des organisations humanitaires. Durant les premières années du conflit [au Darfour], au moins, la communauté internationale a fini par réagir : en 2004, cette guerre était considérée comme la plus grosse crise humanitaire au monde et l’ONU a obtenu les moyens de lancer la plus grande campagne humanitaire de son histoire. »
En 2004, c’est Mukesh Kapila qui, en tant que coordinateur humanitaire, avait sonné l’alarme sur la dimension génocidaire du conflit au Darfour et l’inaction de la communauté internationale. Aujourd’hui, il n’est pas surpris du manque d’intérêt que suscitent les guerres soudanaises : « Si j’étais bailleur de fonds, je serais également frileux, confie-t-il à RFI. Les restrictions imposées aux humanitaires, la rhétorique belliqueuse du régime, sa cooptation d’agences telle le Croissant rouge soudanais et une guerre au Darfour qui s’éternise depuis dix ans, lassent les bailleurs de fonds qui ne voient aucun résultat notable aux projets humanitaires ou de développement. »
Le Qatar entend combler le vide
Sur les 995 millions de dollars nécessaires pour les projets humanitaires au Soudan en 2014, seuls 33 % ont été versés. Pour pallier ce manque, la sous-secrétaire générale aux Affaires humanitaires des Nations unies, Valérie Amos, a débloqué cette année 26,5 millions de dollars du Fonds central d’intervention d’urgence (Central Emergency Response Fund, CERF). En 2013, le Soudan a déjà reçu le plus gros montant parmi les pays éligibles au Fonds. Mais, selon Al-Za’tari, cette aide ne comble en rien le grave déficit de financement qui paralyse les programmes humanitaires.
En attendant, c’est le Qatar qui entend combler le vide créé par une communauté internationale timorée. Fin avril, l’émir du Qatar, le Sheikh al-Thani, a promis le versement de 88 millions de dollars pour financer 19 projets de développement des Nations unies au Darfour. Alors que d’autres pays du Golfe, comme l’Arabie saoudite et le Bahrein, se détournent de Khartoum en raison de ses amitiés avec l’Iran, le Qatar est devenu un soutien vital du régime.
L’émirat a investi considérablement dans un processus de paix pour le Darfour. Mais l’accord, signé en 2011, s’est révélé inapplicable : au même moment, la guerre reprenait au Sud-Kordofan et au Nil Bleu, où les nouveaux rebelles se sont rapidement liés à ceux du Darfour. Selon Jérôme Tubiana, « même si le Qatar versait les milliards promis pour le développement du Darfour, l’insécurité ne permet pas à des projets de développement de voir le jour. Doha doit maintenant, avec d’autres acteurs internationaux, réaliser que le conflit a une dimension nationale et qui nécessite une négociation globale. Le Qatar, avec d’autres acteurs influents au Soudan, peut avoir un rôle à jouer. »