Dès l'annonce de sa candidature pour un 4ème mandat, les réactions internationales et nationales sont tombées comme une pluie d'étoiles filantes. Les premiers rassemblements de protestation ont débuté en février à Alger, sitôt réprimés par les forces de l'ordre. Puis, dans le sud du pays, la ville de Ghardaïa s'est à son tour réveillée entraînant la mort de plusieurs manifestants.
 bientôt 77 ans, fatigué par des problèmes de santé, usé par le pouvoir mais pas décidé à y renoncer, le président sortant est considéré comme un « candidat par procuration ». Il a malgré tout déposé lui-même sa candidature auprès du Conseil constitutionnel, en adressant quelques mots. Au total, 14 secondes d’une voix très faible, à peine audible. Le reflet d’une Algérie toujours en reconstruction, 52 ans après son indépendance.
Tous ces faits ont sidéré une partie des Oranais. D'ailleurs, même en pleine campagne électorale, la vie continue comme si de rien n'était, à une chose près : les rues s'habillent d'affiches à l'effigie des six candidats à la présidentielle. Ces dernières ne séduisent pas, elles interpellent à peine les passants. En écoutant quelques échanges dans les terrasses de café sur le front de mer ensoleillé, on ressent presque de l'amertume vis à vis des élites politiques.
Hamza, 28 ans, commercial
Ce jeune commercial chez un concessionnaire Peugeot Citroën est né à Oran. Il a grandi dans une famille de 7 enfants dont 6 garçons. Parfaitement bilingue français-arabe, il avoue sa désillusion et ne comprend pas la gestion de son pays. « Je me moque royalement de cette élection. Car elle ne changera rien pour ni moi ni pour la plupart des jeunes comme moi. Je n'irai donc pas voter et j'aurai ma conscience tranquille. »
Hamza se concentre, comme la majorité des Algériens, sur sa réalité : « le système D ». Il vit dans le centre-ville, avec ses parents et trois de ses frères, dans un quartier populaire proche de la « nouvelle ville », une artère commerçante. Avec un ami, il vient de lancer une boutique de prêt-à-porter. Son petit frère Houari, 22 ans, s'occupe de la vente.
La diversité des activités est une règle ici. « La vie est difficile surtout avec la corruption, l’injustice, le chômage et la criminalité qui n’arrêtent pas d’augmenter. On manque aussi d’aide sociale. Il y a des familles qui attendent leurs logements depuis des années. Aujourd'hui, il est impossible pour de jeunes mariés d’avoir leur propre logement sans avoir recours à un crédit bancaire qui va les hanter toute leur vie. » La deuxième ville du pays offre des salaires moyens de 400 euros quand les loyers atteignent 600 euros dans certains quartiers.
Pour Hamza, l'argent public est dilapidé et les ressources mal exploitées. Il explique aussi que les difficultés financières, les Algériens trouvent l’argent nécessaire pour s'offrir un véhicule neuf, prix moyen 5 500 euros. Avec des transports publics déficients, c'est un outil indispensable pour les Oranais.
Au milieu des 600 000 habitants que compte la ville, la jeunesse se cherche donc une issue. Avec un taux de chômage des jeunes de plus 21 %. Plus d'un Algérien de moins de 35 ans sur 5 est au chômage. Alors certains cumulent les petits boulots très tôt comme Sifo.
Sifo, 15 ans, apprenti boulanger
L'adolescent travaille dans le quartier Saint Eugène, situé au cœur d’une zone sensible. Son local de vente de pain se trouve sur le marché de la rue Maupas, en face d'un maraîcher au sourire chaleureux et d'un vendeur de légumes avec une devanture au message publicitaire « Couches bébés ». Chaque jour, il s'improvise boulanger.
Le jeune homme a un sourire communicatif. Son air chétif et vif prouve son habitude aux tâches difficiles. Avec deux de ses amis, il revend du pain, acheté un peu plus tôt au boulanger de son quartier, pour gagner un peu d'argent. Le temps d'une séance photo, il rigole avec les clients : « Tiens, prends moi en photo avec le sel et la farine ! ». Son enthousiasme gomme les signes de fatigue sur son visage. Il assure d'ailleurs que « le travail n'est pas si dur. C'est une question d'habitude. » Les horaires matinaux lui conviennent mieux que la rue. Son quotidien reflète une des inquiétudes des familles Oranaises : construire l'avenir de leurs enfants.
Meriem, 36 ans, aide soignante
Mère de deux garçons, cette aide-soignante dans un hôpital public est une femme généreuse et attentionnée avec son entourage. Sa formation médicale a été réalisée en français alors cette langue n'a aucun secret pour elle, comme pour le reste de la famille. Meriem veut que ses enfants l'apprennent. Sa priorité est donc l'éducation. Ses fils grandissent entre tradition et modernité. Un de leurs oncles vient d'ailleurs d'épouser une jeune femme française.
Concernant la place de la femme dans la société, Meriem regrette un manque d'ouverture d'esprit, même si les Oranaises peuvent s'habiller à leur guise depuis toujours. On dit qu’Oran est la plus « permissive » des grandes métropoles du pays. « Les hommes n'ont pourtant aucune retenue. Parfois même quand tu te balades au bras de ton mari, certains te lancent des sourires dragueurs ou des réflexions désobligeantes ».
Alors, les femmes s'offrent des espaces privilégiés pour s'évader, comme les salons de thé privatifs qui ont poussé dans le centre ville ces dernières années. Meriem affirme aussi que les femmes cherchent leur indépendance. Depuis une dizaine d'année, jeunes où âgées, elles se rendent à l'école coranique pour apprendre à lire et à écrire l'arabe. Ainsi, beaucoup de mères analphabètes rattrapent leur retard.
Mais, il y a surtout un lieu emblématique oranais dédié aux femmes : le traditionnel hammam. Il reste l'espace favoris de la gent féminine : « Ici, on ne se regarde pas. Chacune fait sa vie. Et on prend soin de nous. Il n'y a aucune gêne. On est libre de dire, penser et faire ce que l'on veut à l'abri des réflexions masculines. On se sent femme sans complexe. » Ce principe, vu à travers une pudeur occidentale, peut d'ailleurs parfois choquer.
Alimus, 42 ans, salarié dans une société Télécom
Alimus tient à jouer le guide et nous fait visiter le front de mer et les quartiers touristiques d'Oran. Amoureux de sa ville, ce père de famille regrette l'aspect délabré des façades des immeubles. Sociable et humoriste à ses heures, il trouve les bons mots pour distraire et séduire son auditoire. Pourtant, comme la majeure partie des Algériens, il éprouve aussi un ressentiment vis-à-vis du pouvoir militaire. Très vite notre parcours touristique nous le démontre.
Le long de la corniche, Alimus nous signale les résidences secondaires oranaises, les stations balnéaires réservées aux personnels militaires. « C'est facile de les repérer. Ce sont toutes celles qui sont entourées d'un mur protecteur assez haut pour empêcher les regards curieux. Alors tout le monde les connaît bien. »
Il y a aussi les hôpitaux militaires qui s'étalent sur des kilomètres avec une devanture quasi neuve et soignée. « Il paraît qu'ils ont les meilleurs médecins. Mais le plus ironique c'est que malgré tout, les généraux, et même le président lorsqu'ils sont malades, se font soigner en France. ». Avec la pointe d'humour qui le caractérise, l'Oranais ajoute « c'est tout le paradoxe de l'Algérie ».
Les motards du week-end
Un paradoxe qui se démontre aussi quelques kilomètres après le bord de mer et les stations balnéaires, connus pour les vols fréquents en haute saison. Dans la forêt, un curieux rassemblement de jeunes fait du bruit. Ce sont les motards du vendredi. Adolescents et jeunes hommes font grincer leurs deux roues sur le bitume : motos sportives 250 ou 135 cm3, motos-cross ou scooters.
Ces bolides pour la plupart coûtent une fortune, jusqu'à 8000 euros pour les plus puissants. Alors, on se demande comment ce jeune de 15 ans, dont la jolie cylindrée est plus imposante que lui, a pu se s'offrir cette Suzuki sur laquelle il parade sur une roue lors d'une course sur 100 mètres face à son adversaire. « Le système D et les magouilles, nous répond Alimus avec un sourire, comme tout le reste dans ce pays ! ».
Peu importe, ce rassemblement hebdomadaire est avant tout celui de la frime. Une illustration de cette jeunesse en recherche de repères qui rejette l'autorité militaire. D'ailleurs, les gendarmes sont positionnés à quelques mètres pour réaliser des contrôles d'identité. Une manière aussi d'assurer que rien ne dérape. Dans la forêt, le vendredi, c'est aussi le jour du barbecue en famille pour les Oranais.
Des cabarets libérateurs de parole
Les cabarets de la corniche oranaise sont une institution célèbre à travers le pays. La ville a vu naître en son sein le Raï, un genre musical apparu début du XXe siècle. Les soirées sont connues pour être animées autant en termes d'ambiance que de flux financiers. Il se murmure que, dans ces lieux de fête par excellence pour la jeunesse clubbeuse et les hommes d'affaires, certaines figures des forces de police participent à ces nocturnes.
Les chanteurs improvisent un répertoire de chansons sur commandes. L'argent coule donc à flot et l'esprit de critique se déverse sans limite. Sauf si les critiques touchent de trop près les forces de l'ordre. D’ailleurs, Cheb Fayçal, une des jeunes figures du raï oranais, a été arrêté, il y a un an, par la police pour s’être moqué d’elle dans une chanson.
Une révolte sur la toile
Sur la Toile, les artistes algérois comme Zarouta Youcef réalise des vidéos humoristiques et critiques sur la vie politique de leur pays. Dernièrement, le comédien était à Oran pour réaliser une sitcom humoristique sur la société algérienne. Il affiche plus 100 000 abonnés sur son compte facebook et ses vidéos sont visionnées en moyenne par plus de 500 000 internautes. Avec DZjoker, MisterX, l’Inconnu, MGdz et Anes Tina, ils sont les nouveaux représentants du ras-le-bol algérien face aux politiques.
Toutes ses voix servent d'exutoire à la jeunesse désabusée. Celle prête à se soulever. Hamza nous l'avait d'ailleurs confié. Le jeune oranais avouait bouillonner : « Je voudrais tellement manifester mais quand je vois ce qui s’est passé dans les autres pays arabes, je me dis que cela n'en vaut pas la peine car ça n'a rien engendré de bon, que du malheur, de la destruction et la haine dans la nation. »
Le bilan des trois mandats du président sortant est respecté par les Algériens. Hamza nous le confirme : « Je ne nie pas que les deux premiers mandats de Bouteflika ont ramené l'harmonie dans le pays déstructuré à cause de la décennie noire. Mais maintenant, il peut prendre sa retraite avec le respect de son peuple. » En 2009, Aziz Bouteflika l'avait remporté avec 90,2 % des voix. Le 17 avril prochain, six candidats s'affronteront dans les urnes pour peut-être changer l'avenir du pays.