L’Iran est-il prêt à regagner l’estime perdue?

Les nouvelles autorités iraniennes multiplient des gestes pour gagner la confiance des Occidentaux et pour que l'Iran retrouve le prestige d'antan. Gagner du prestige est une affaire de longue durée, mais le perdre peut se produire très rapidement. La notion de prestige dans son acception minimale c’est précisément d’imposer le respect et d’inspirer l’admiration. L’Iran retrouvera-t-il le prestige dont il jouissait naguère dans le monde ?

Au lendemain de son éviction de la compétition pour l’élection présidentielle de l’an dernier, Ali Akbar Hachémi Rafsandjani, l’un des pères fondateurs de la République islamique d’Iran, ancien président de la République (1989-1997) et actuel président du Conseil de discernement de l’intérêt supérieur du régime, a tenu des propos pour le moins surprenants relatifs à l’image de son pays dans le monde et que ses adversaires au sein du pouvoir ont qualifiés de subversifs.

« L’Iran était un pays prestigieux et respecté. Je me souviens d’avoir voyagé en voiture avec ma femme à travers tous les pays d’Europe. Lors du passage d’un pays à l’autre, nous présentions tout simplement notre passeport aux policiers et franchissions la frontière. Mais aujourd'hui, les Iraniens sont l’objet d’humiliations, raison pour laquelle ils évitent de voyager avec leur femme. Dans l’état où nous sommes, celui qui accepterait une responsabilité dans ce pays, devrait faire beaucoup de sacrifices », a raconté l'ancien président.

Ces propos tenus par l’un des architectes les plus importants du régime islamique ne sont que la reconnaissance tardive d’une réalité indéniable qui a commencé à se manifester dès les premiers mois qui ont suivi la révolution de février 1979. Réputé pour son franc-parler, ce haut dignitaire du régime n’admettrait-il pas ainsi, bien qu’implicitement, ses propres responsabilités dans la perte du prestige dont, comme il le reconnait, son pays jouissait naguère dans le monde ? N’oublions pas que l’assassinat de quatre opposants kurdes iraniens en septembre 1992 dans le restaurant berlinois Mykonos a eu lieu sous sa présidence. Le 10 avril 1997, le tribunal régional de Berlin a formellement déclaré que l’ordre de tuer était parti d’un « comité des opérations spéciales » composé notamment du président iranien Ali Akbar Hachémi Rafsandjani et du guide suprême l’ayatollah Ali Khamenei, bien qu’après cette accusation sans équivoque, le parquet fédéral ait excipé d’une disposition du droit allemand qui lui permet de s’abstenir de poursuivre lorsque des « intérêts supérieurs » du pays sont en jeu.

Diabolisation de l’Occident

La notion de prestige dans son acception minimale c’est précisément d’imposer le respect et d’inspirer l’admiration. On peut se demander quels efforts ont déployés dans ce sens les dirigeants de la République islamique depuis l’avènement de ce régime ? Depuis la révolution de 1979, tous les vendredis à l’occasion de la grande prière en commun, des slogans tels que « Mort aux Etats-Unis » et « Mort à Israël » retentissent dans toutes les villes iraniennes. Un régime peut-il gagner l’estime et le respect de la communauté internationale s’il tient sans cesse un discours hostile au monde, et s’il répète sans cesse à l’oreille de son peuple qu’il est victime de « l’Arrogance mondiale » (Estekbâr-e djahâni) ?

Dans le même discours qu’a tenu le président du Conseil de discernement de l’intérêt supérieur du régime après son éviction, il a précisé : « Puisque nous avions coupé les liens avec le monde occidental, nous avons confié nos devises étrangères aux Chinois qui les ont converties en yuan en nous faisant d’abord payer une commission pour cette opération, puis qui nous ont dit qu’au lieu de devises ils nous donneraient des marchandises, non pas les marchandises que nous voulions, mais les marchandises qu’ils détermineraient eux-mêmes. Ensuite est venu le tour de l’Inde qui a accepté d’acheter notre pétrole à un prix dérisoire sans être même disposée à le payer en roupies. Les Indiens veulent eux aussi troquer leurs produits contre notre pétrole. Tout cela est rapporté par le ministre du Commerce extérieur et le directeur général de la banque centrale. »

Ces aveux, sortis da la bouche de l’un des concepteurs les plus ardents de la République islamique, ne mettaient-ils pas en évidence l’impasse vers laquelle s’est dirigée ce régime depuis son instauration ?

Le Messie se fait toujours attendre

Depuis 35 ans, la République islamique n’a cessé de promettre aux Iraniens des lendemains qui chantent. Mais le Messie se fait toujours attendre. Ce qu’on aperçoit effectivement dans les villes et les villages du pays, c’est un peuple démuni, souvent empêtré dans la misère, le regard tourné vers la somme modique que l’Etat prélève de la manne pétrolière et lui concède à la fin du mois. A cette assistance minime s’est ajoutée, sous le nouveau gouvernement, une maigre ration de biens alimentaires appelée « panier de biens » dont la distribution récente au sud-ouest de l’Iran a dégénéré en une pitoyable scène de bousculade.

Dans le numéro du 25 janvier du journal Djahân-e San’at « (Le monde de l’industrie) » publié à Téhéran, Saeed Leylaz, économiste dissident, parle des vagues de pillage sans précédent qui touchent tous les secteurs de l’économie iranienne. Il espère que le gouvernement de Rohani arrivera à stopper ce pillage programmé et à contraindre les pillards à renvoyer leur butin en Iran. D’après lui, l’immense richesse de ce pays est accaparée par une oligarchie politique qui n’a aucun scrupule à la piller et à la transférer en argent liquide à l’étranger. L’envers de cette réalité impitoyable décrite par cet économiste se voit dans la triste scène de distribution de la ration de biens alimentaires.

Respecter pour être respecté

À chaque élection présidentielle, les Iraniens sont appelés aux urnes pour remettre les rênes de leur pays entre les mains d’un homme, un homme du sérail, souvent inconnu ou peu connu de la population, qui a eu le feu vert du Conseil des gardiens de la Constitution, surveillé directement par le Guide suprême ou par les instances se trouvant dans le périmètre de son pouvoir formel.

Les partisans de la République islamique en Iran et en dehors de l’Iran disent que c’est un régime démocratique parce qu’il y a des élections. Ils ont peut-être raison ! Mais il faut bien admettre que ce n’est pas le même modèle que celui que les grands penseurs de la démocratie comme John Locke, Montesquieu, Benjamin Constant et Tocqueville nous ont décrit.

Il y a 17 ans, ces mêmes adeptes de la démocratie à l’iranienne ont présenté Mohammad Khatami comme un envoyé du ciel qui avait reçu la mission de mettre en œuvre toutes les promesses de la révolution et de rendre leur dignité aux Iraniens. Après huit années passées sous sa présidence (1997-2005), les Iraniens ont fini par le renommer Shah Sultan Hussein, du nom du dernier roi safavide, un roi oisif et craintif qui a livré le pays en 1722 aux Afghans. Puis est venu le tour d’Ahmadinejad qui n’a fait que plonger le pays dans une détresse sans précédent, gaspillant le peu d’estime dont jouissaient encore les Iraniens dans le monde.

« Entre deux maux, il faut choisir le moindre » : cette expression, devenue le code de conduite politique des Iraniens, illustre parfaitement le choix qu’ils font à chaque élection présidentielle. Le régime les place face à une alternative où chaque issue, il le sait d’ailleurs bien, est douloureuse pour eux, qui pourtant se résignent à un tel choix.
Depuis 1979, des millions d’Iraniens se sont exilés ; n’ayant aucun espoir dans l’avenir, beaucoup d’autres veulent quitter leur pays au prix même de leur vie. Des nouvelles de naufrages de bateaux transportant les migrants clandestins iraniens, au large de l’Australie ou d’autres pays, font écho dans les médias du monde entier.

La République islamique reste en tête du triste palmarès du nombre d’exécutés. En 2011 elle était le numéro deux des dix pays pratiquant le plus d’exécutions capitales. Depuis l’élection de Monsieur Rohani à la présidence de la République, aucun changement dans ce domaine n’a été constaté par les instances internationales. Un pays est respecté s’il respecte les droits élémentaires de l’homme et les valeurs communément admises dans le monde. Gagner du prestige est une affaire de longue durée, mais le perdre peut se produire très rapidement. L’Iran est-il prêt à regagner l’estime perdue et à retrouver la place qui lui revient dans le concert des nations ?

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