«La Rue Cases-Nègres» se décline version bande dessinée

Le célèbre roman du Martiniquais Joseph Zobel vient de faire l’objet d’une publication sous forme de bande dessinée. En 1983, il avait été adapté sur grand écran par la réalisatrice Euzhan Palcy.

« La Rue Cases-Nègres » est un grand classique de la littérature antillaise moderne. La publication de ce roman en 1950 avait fait la notoriété de son auteur, Joseph Zobel. Très vite épuisé, le livre fut remis en circulation dans les années 1970 à l’initiative de Présence Africaine. C’est encore à la vénérable maison d’édition de la rue des Ecoles à Paris que nous devons son adaptation aujourd’hui en bande dessinée.

Le roman doit son succès à la force de son évocation de la vie ordinaire de la petite paysannerie noire et à la limpidité de son écriture campant les personnages dans leur réalité. Nous sommes dans la Martinique des années 1930. Le jeune José vit avec sa grand-mère, M’man Tine, rue Cases-Nègres. L’existence est particulièrement rude pour tous les habitants du quartier. Leurs seules ressources proviennent de l’exploitation des champs de canne à sucre qui appartiennent aux Békés, les Blancs de Martinique. José va à l’école communale, où son instituteur lui enseigne le sens d’une certaine liberté et l’aide à obtenir son certificat d’études. Il passe avec succès le concours et obtient une bourse, à la plus grande joie de M’man Tine. Celle-ci, en effet, n’a d’autre ambition que de permettre à son petit-fils d’échapper à leur condition misérable…

En re-racontant cette histoire, les auteurs de la BD, le scénariste Michel Bagoé et la dessinatrice Stéphanie Destin, donnent un nouveau souffle au livre de Joseph Zobel. Le roman avait déjà bénéficié d’un traitement cinématographique magnifiquement réussi qui avait totalisé 3 millions d’entrées, sous la signature de la réalisatrice Euzhan Palcy, ce qui n’est certainement pas étranger à la grande visibilité dont il jouit aujourd’hui à travers le monde francophone.

Un récit initiatique

Récit très largement autobiographique, « La Rue Cases-Nègres » raconte la société martiniquaise rurale des années 1930, les plantations, la hiérarchisation sociale, la faim et la pauvreté dont souffrait encore la population antillaise noire plus de huit décennies après l’abolition de l’esclavage. A travers les tribulations de son jeune protagoniste, Zobel a raconté sa propre enfance dans les villages du sud de la Martinique, ses blessures et ses joies d’antan. C’est cette vie, faite de douleurs et de bonheurs, à l’ombre d’un système social et politique oppressant, que les deux auteurs de la BD ont tenté de capter, souvent avec succès, dans leur album, mêlant l’image à la poésie de la parole créole.

Le succès du duo réside surtout dans la pureté des dessins qui rappellent les albums de science-fiction, tout en restant proches de la dureté de la réalité et du vécu. L’illustratrice Stéphanie Destin, dont c’est la première BD, s’est beaucoup documentée pour rester fidèle aux paysages de la campagne martiniquaise avec des champs de cannes à sucre à perte de vue où le romancier martiniquais a campé son récit.

La fidélité à l’œuvre originale a été l’une des préoccupations majeures des auteurs de la BD. « J’ai tout repris, contrairement au scénario extrait par Euzhan Palcy pour l’adaptation cinématographique du roman, affirme Michel Bagoé qui connaît l’œuvre de Joseph Zobel depuis sa petite enfance. Cette BD est pour moi une forme d’hommage à ce grand écrivain que j’ai connu de près quand, petit adolescent, je vivais à Ziguinchor, en Casamance, avec ma famille. Joseph Zobel était alors le directeur du collège où mon père enseignait. Comme nos deux familles avaient beaucoup sympathisé, je me suis senti légitime de relever le défi de m’attaquer à ce monument de la littérature martiniquaise qu’est La Rue Cases-Nègres. »

Auteur-compositeur-interprète de formation, Michel Bagoé s’est recyclé en scénariste de bande dessinée depuis 2011. Le succès est manifestement au rendez-vous comme le prouve l’intérêt que suscite son adaptation du roman de Zobel, en collaboration avec l’illustratrice Stéphanie Denis. Dans le viseur du duo : D’Jhébo, le Léviathan noir (1957), l’œuvre de César Pulvar, un autre grand de la fiction martiniquaise et incidemment grand-père de la célèbre journaliste Audrey Pulvar.


La Rue Cases-Nègres
Michel Bagoé et Stéphane Destin
Editions Présence africaine
90 pages
18 euros

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