Paraguay: des réfugiés syriens retrouvent l’espoir à 13 000 km de la guerre

Pays le plus inégalitaire d’Amérique du Sud, démocratie instable, séparé de la Syrie par une mer et un océan, le Paraguay n’avait a priori rien d’une terre d’accueil potentielle pour les réfugiés syriens. Pourtant, des dizaines d’entre eux ont demandé l’asile à Asunción. C’est notamment le cas de la famille Ibrahim, qui se recompose petit à petit après avoir été dispersée dans la fuite des combats et des attentats. Choyé par la prospère communauté des Paraguayens d’origine syrienne, le foyer se reconstruit à 13 000 kilomètres de ses terres d’origine, en espérant bientôt être rejoint par les deux fils qui manquent encore à l’appel.

De notre correspondant à Asunción

Par un montage-photo sur son profil Facebook, Peter Ibrahim rend hommage à son grand-père, Pedros. Il y a un peu plus d’un an, le vieux Syrien, alors âgé de 91 ans, avait trouvé la force de se lancer dans un aléatoire tour du monde à la recherche d’un havre de paix pour sa famille. Leur maison de Qamishli tombée sous les bombes, les Ibrahim partirent sur les routes de l’exil. Après plusieurs mois dans les camps de réfugiés en Turquie, ils purent réunir les fonds pour acheter quatre billets d’avion à des passeurs. Problème : ils étaient huit, pour quatre places. Les deux grands-parents, Pedros et Nafia partirent en compagnie de Deved, le plus jeune des trois petits-fils, et de Nahed, l’unique petite-fille.

La famille au complet, un an après

Un an après la terrible séparation, Nahed et sa famille sont locataires d’une maison dans le quartier General Diaz d’Asunción, la capitale paraguayenne. Autrefois connu sous le nom La Palestina, le barrio est historiquement au Paraguay celui des migrants d’Orient. Dans un premier temps réticente à l’idée de rencontrer un journaliste, la famille a finalement accepté en posant une condition préalable : pas de question sur la politique syrienne ou les atrocités de la guerre. Le traumatisme est évidemment à vif. Qamishli, leur ville d’origine, est particulièrement touchée par le conflit en cours en Syrie. Proclamée de facto capitale duKurdistan syrien par les nationalistes kurdes, la ville est régulièrement le théâtre d’attentats du groupe Etat islamique et d’affrontements meurtriers entre les milices kurdes et l’armée gouvernementale syrienne. Il faut dire aussi que la famille Ibrahim n’est ni de la majorité musulmane, ni de la grande minorité kurde. Assyriens orthodoxes de langue araméenne, leur communauté a ainsi été victime de massacres tout au long du siècle.

Dans le calme de leur salon au style oriental, Sohila, la maman de Nahed, invite au traditionnel café arabe parfumé au safran. Son large sourire déroute : elle était encore il y a moins de deux mois bloquée dans un camp de réfugiés près d’Istanbul avec son mari, Abdelahad. Après de longues tractations entre Ankara et Asunción, l’Etat paraguayen leur a aussi accordé l’asile. Ce fut pour Nahed « un grand soulagement » de retrouver ses parents ; elle s’exprime déjà dans un bon espagnol : « Un bonheur intense qu’ils aient été là pour fêter mes 25 ans, le 7 décembre », poursuit la grande brune.

Le Paraguay, une terre d'émigration

Sous le regard protecteur de sa maman et de sa grand-mère, Nahed retrace son parcours. Fille de restaurateurs, elle était étudiante en commerce international à l’Université de Damas, une institution à la renommée mondiale. Puis la guerre a embrasé le pays. Aujourd’hui, elle est vendeuse en prêt-à-porter dans une boutique d’Asunción où le salaire moyen est environ de 200 euros. Pas vraiment la carrière imaginée. « Bof… Ca permet de payer le loyer et de stabiliser la famille au Paraguay, en attendant de savoir ce qu’on pourra faire à long terme », dit-elle, sans jamais quitter son téléphone des yeux, dans l’espoir d’un message de l’un de ses deux frères en stand-by, en Allemagne pour l’un, en Turquie pour l’autre.

Car le Paraguay n’était pas le choix premier de la famille. Démocratie instable et l’une des sociétés les plus inégalitaires du monde, le pays sans sortie sur la mer est d’ordinaire plutôt une terre d’émigrants : entre un million et un million et demi de Paraguayens vivraient à l’étranger pour des raisons économiques. Un chiffre important alors que le pays compte moins de sept millions d’habitants intra-muros.

Les Ibrahim avaient en fait acheté aux passeurs des billets pour l’Espagne où ils comptent des cousins déjà établis depuis des générations. Mais à leur sixième escale d’un parcours Istanbul-Madrid qui en comptait dix, ils furent interceptés par la police des frontières paraguayenne. En cause : leurs passeports israéliens. « On m’a appelé depuis le commissariat de Luque, qui jouxte l’aéroport, pour me dire que des Arabes avec des faux documents avaient été arrêtés », raconte Hanoun Andraos, un prêtre libanais basé entre l’Argentine et le Paraguay pour le compte de l’Eglise chrétienne maronite.

Solidarité communautaire

L’homme d’Eglise, qui a l’habitude d’officier comme traducteur entre les arabophones du Paraguay et les institutions, parvient rapidement à prouver la bonne foi de la famille de réfugiés. L’usage de faux passeports n’étant pas considéré comme un délit pour des personnes fuyant un pays en guerre, les grands-parents Ibrahim et leurs deux petits-enfants sont vite libérés. Envisageant un temps de repartir rapidement pour gagner l’Europe, ils se font vite à l’évidence : les frontières du Vieux Continent sont hermétiques. Ils restent alors au Paraguay avec l’idée de s’y stabiliser. Une stabilité qui leur a permis de faire venir, il y a environ deux mois, Sohila et Abdelahad, les parents.

« Quand nous avons été mis au courant de leur histoire, nous nous sommes naturellement approchés d’eux », raconte Oscar Apud. Petit-fils de quatre immigrés syriens, « Oncle Apud », comme le surnomme affectueusement Nahed, a pris la famille Ibrahim sous son aile. « Mais c’est toute la communauté des Paraguayens d’origine syrienne qui les a assistés », insiste-t-il. Avant que Nahed puisse travailler pour subvenir aux besoins de la famille Ibrahim, « telle famille prenait en charge leur loyer, pendant qu’une autre famille s’occupait des courses, rapporte Oscar Apud. Le mois suivant, d’autres familles s’en chargeaient spontanément ».

Forte de 20 000 membres, la communauté des Paraguayens d’origine syrienne jouit d’une situation économique largement au-dessus des standards moyens de la population locale.

« Mais nous ne sommes pas devenus prospères du jour au lendemain, explique Oscar Apud. La très grande majorité des Syriens est arrivée pauvre et sans formation au Paraguay ». Débarqués au début des années 1910, les grands-parents Apud ont ainsi commencé comme vendeurs ambulants dans le train, moyen de transport qui n’existe plus aujourd’hui au Paraguay mais qui était à l’époque l’unique voie de communication du pays.

Destins croisés

Les Apud avaient alors quitté Mhardeh, village de paysans de la province de Hama, pour « tenter l’Amérique ». Presque en même temps, mais 150 kilomètres plus au nord, naissait Pedros Ibrahim. Près de cent ans plus tard, le destin de la famille Ibrahim, réfugiés syriens au Paraguay, et celui des Apud, devenus Paraguayens d’origine syrienne, se sont liés à Asunción, à près de 13 000 kilomètres de leur terre d’origine.

Le destin paraguayen, cela devra attendre pour Peter, le frère cadet de Nahed, toujours bloqué en Turquie. Sa sœur espère qu’il les rejoindra à Asunción dans deux mois. Convaincu de la bonne intégration de la famille Ibrahim, l’Etat paraguayen a engagé des pourparlers à son sujet avec Ankara. Sur la photo de profil Facebook de son petit-fils, Pedros, orphelin à cinq ans quand ses parents furent massacrés par les Ottomans, sourit. Au Panthéon des Syriens du cimetière d’Asunción, le vieil homme peut se reposer en paix. Avant de décéder en mai dernier, il a su trouver la force de mettre sa famille à l’abri.

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