De notre correspondant en Ouganda,
« Attention, la tranchée est profonde ! » L'avertissement de James K. Soita, un officier de l'Autorité de protection de la vie sauvage en Ouganda (UWA), est sec, mais salutaire. Nous sommes aux abords de la forêt de Kibale. Un fossé de 2m de profondeur sépare le milieu sauvage d'une petite bananeraie. Il sert à protéger les plantations des grands mammifères comme les éléphants ou les buffles, de retour dans la région. Il y a plus de 20 ans, pourtant, la forêt primaire n'existait plus dans cette zone. Ravagée par les besoins en bois et en terres arables de la population, elle avait totalement disparu. Et avec elle, de nombreuses espèces animales qui y trouvaient refuge et alimentation.
À Kibale, depuis plus de deux décennies, l'Etat ougandais, aidé par l'ONG Face the Future, et avec des fonds hollandais, a entrepris un programme de reforestation sur plus de 700 hectares, non loin du grand parc Queen Elizabeth. « Nous nous sommes concentrés sur une douzaine d'essences seulement, mais cela a suffi pour recréer un couvert végétal et attirer une faune diversifiée », explique James. Résultat : « les grands animaux sont de retour, nous pensons même que nous avons des éléphants "réfugiés" qui fuient les conflits et le braconnage de la RDC voisine », poursuit l'officier de l'UWA. Puis il ajoute, après avoir ramassé une bouse de pachyderme séchée aux abords de la piste : « les graines que vous voyez ici ont été apportées par les éléphants eux-mêmes, qui participent ainsi par voie naturelle à la diversification des espèces végétales. »
Un objectif de 10 000 éléphants
En Ouganda, cette initiative n'est pas isolée. Elle fait même partie de la stratégie mise en place par le gouvernement pour récupérer des vastes territoires au sein desquels les espèces qui demandent le plus d'espace puissent évoluer librement. Et c'est une réussite. « Au début des années 1990, nous comptions seulement un millier d'individus dans tout le pays, explique ainsi Charles Tumwesigye, directeur adjoint de la conservation pour l'UWA, et le dernier recensement rapporte que nous sommes passés à plus de 5 000 éléphants. Je pense que nous pouvons raisonnablement penser que nous allons atteindre le nombre de 10 000 dans les prochaines années. » Enthousiaste, mais aussi très humble, Charles Tumwesigye sait que ce travail nécessite un long effort de pédagogie auprès des populations, dans un pays où l'économie est restée profondément rurale, et où la démographie galopante crée des tensions foncières importantes.
Outre les déplacements de familles, qu'il faut dédommager et relocaliser, il faut également affronter l'hostilité naturelle des communautés villageoises, qui craignent à juste titre un danger pour leurs cultures. Le passage d'une horde d'éléphants dans un champs peut en effet détruire une récolte en très peu de temps. « C'est pourquoi nous avons pensé à mettre les villageois à contribution, explique Charles Tumwezigye. Ils sont payés pour creuser et entretenir les tranchées pour protéger leurs champs. » Selon lui, les sources de financement – outre les apports étrangers (ONG, institutions, etc) – permettent de financer cette rétribution, et un système de péréquation a par exemple été mis en place avec le secteur du tourisme, qui croît grâce à l'augmentation des populations de grands mammifères.
Nouvelle loi contre le trafic d'ivoire
Mais pour le conservateur de l'UWA, « ce système gagnant-gagnant » ne peut suffire à garantir une progression saine des populations d'éléphants en Ouganda. Si le cadre répressif suffit à limiter le braconnage en Ouganda, la préoccupation majeure demeure le trafic inter-régional de l'ivoire. « Au vu du nombre de saisies d'ivoire effectuées, et du faible nombre d'éléphants abattus sur notre territoire, précise Charles Tumwezigye, nous en déduisons que l'Ouganda est utilisé comme un pays de transit pour l'ivoire illégal. »
D'où le renforcement de patrouilles mieux équipées, avec la mise en place d'une équipe de dresseurs de chiens-renifleurs, mais aussi l'étude au Parlement d'une nouvelle loi renforçant considérablement la répression à l'encontre des trafiquants. « Si elle est adoptée, la peine pourrait passer de 3 ans de prison à entre 15 et 20 ans et une très forte amende », espère Charles Tumwezigye, qui se félicite de la décision prise le 3 octobre dernier à la Cites de confirmer l'interdiction de toute forme de commerce de l'ivoire.
Les efforts fournis en matière de recensement ont également contribué à mieux appréhender la situation. Mais de nouveaux dangers menacent les populations d'éléphants en Ouganda. La future production de pétrole, dans la zone naturelle des Murchisson Falls, au nord du Lac Albert, inquiète en particulier les défenseurs de l'environnement. Optimiste, Charles Tumwezigye affirme que les compagnies pétrolières vont contribuer à préserver les zones touristiques en finançant entre autres les projets communautaires. Concilier activités humaines et préservation de la vie sauvage, un défi que l'Ouganda semble pour le moment être en voie de remporter. Même si l'équilibre demeure fragile.
A (RE)LIRE → L'inexorable disparition des éléphants d'Afrique