Nadia Murad Basee Taha, ex-esclave du groupe EI devenue ambassadrice de l’ONU

Une jeune Irakienne yézidie ayant vécu l’enfer aux mains de l’organisation Etat islamique (EI) vient d’être nommée ambassadrice de l'ONU pour la dignité des victimes du trafic d'êtres humains.

Le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, s’est dit « ému aux larmes » en écoutant le calvaire de Nadia Murad Basee Taha, et tout autant bouleversé par « sa force, son courage et sa dignité ».

Parce qu’à 23 ans seulement, son histoire de vie est longue et douloureuse. Nadia Murad Basee Taha est une Irakienne de Kocho, près de Sinjar, théâtre d’un massacre perpétré par l’organisation Etat islamique le 15 août 2014. Ce jour-là, elle est enlevée par les jihadistes. Membre de la communauté yézidie, elle est l’une des cibles privilégiées des islamistes, transformée en esclave sexuelle.

Nadia Murad Basee Taha, une victime de la déshumanisation organisée

Envoyée à Mossoul, ville contrôlée par l’organisation EI, la jeune femme entame alors un interminable cauchemar de trois mois : Nadia Murad Basee Taha doit y subir des viols collectifs de la part de ses bourreaux qui la vendent ensuite à d’autres jihadistes sur les « marchés aux esclaves ». Jusqu’au jour où elle parvient à s’échapper pour un long voyage qui aboutira en Allemagne.

Devant le Conseil de sécurité en décembre 2015, Nadia Murad Basee Taha raconte durant dix minutes l’horreur de ce qu’elle a vécu avant de s’effondrer en pleurs. « Le 15 août, ils nous ont amenés à l'école du village. Là, ils ont séparé les femmes, les hommes et les enfants. Je les ai vus faire depuis le deuxième étage de l'école. Ils ont pris tous les hommes et les ont tués. Six de mes frères ont été tués. Trois ont survécu […] Ce n'était pas fait de façon ponctuelle, ces hommes remplissaient un plan scrupuleusement organisé et ayant une partie centrale dans l'idéologie guerrière de leur idéologie. »

Nadia Murad Basee Taha explique que le viol est utilisé pour détruire les femmes et les filles, et être certain que ces femmes ne puissent avoir une vie normale par la suite. « La première nuit, on m’a battue. On m’a demandé d’enlever mes vêtements. On m’a mis dans une chambre avec des gardes et, ensuite, ils ont procédé à leur crime jusqu’à ce que je m’évanouisse. »

Ce vendredi 16 septembre, Nadia Murad Basee Taha a été officiellement nommée ambassadrice de bonne volonté de l'Office des Nations unies pour la lutte contre la drogue et le crime (ONUDC) pour la dignité des survivants de la traite des êtres humains, une première dans l’histoire de l’ONU. Un titre loin d’être honorifique tant la situation est dramatique, et avant tout pour les réfugiés, les filles et les enfants.

Venir en aide au peuple Yézidi…

La jeune femme milite pour que les persécutions commises en 2014 contre les Yézidis soient considérées comme un génocide. Depuis le début des guerres en Irak puis en Syrie, cette minorité kurdophone est menacée d’extinction par le groupe EI qui détient toujours pas moins de 3 200 d’entre eux, selon l’ONU.

Si les filles âgées de 8 à 35 ans sont la cible de « violences sexuelles systématiques », selon les termes de l’ONU, les garçons sont endoctrinés et envoyés au combat. En juin dernier, des enquêteurs indépendants mandatés par les Nations unies ont affirmé que le groupe EI menait un génocide contre les Yézidis de Syrie et d'Irak, en cherchant à détruire systématiquement cette communauté de 400 000 personnes depuis l'attaque, le 3 août 2014, à Sinjar au Kurdistan irakien.

Aujourd’hui, la jeune ambassadrice craint que, une fois le groupe jihadiste vaincu, « les militants, les terroristes de l'EI, ne rasent leur barbe et ne se fondent dans la foule comme si rien ne s'était passé. […] On ne peut pas laisser faire ça ».

Ce 16 septembre à l’ONU, Nadia Murad Basee Taha était représentée par l'avocate internationale britanno-libanaise Amal Clooney, qui a affirmé que le groupe EI était coupable de génocide et devait rendre des comptes. « Des milliers de femmes yézidies ont été réduites en esclavage par une organisation terroriste, l'EI, qui commet un génocide et pourtant ce crime reste impuni », a déploré l'avocate. Et d’ajouter : « J'ai honte en tant qu'être humain de constater que leurs appels à l'aide ne sont pas entendus. »

... Et à tous les humains victimes de trafic

Mais le combat de Nadia Murad Basee Taha va bien plus loin que la défense seule des Yézidis puisqu’il concerne de manière plus générale le trafic de personnes et de migrants. La mission de l'ambassadrice est axée sur des initiatives de plaidoyer et de sensibilisation sur le sort des innombrables victimes de la traite des personnes, en particulier les réfugiés, les femmes et les filles.

Car chaque année dans le monde, des millions de personnes, essentiellement des femmes et des enfants, sont victimes de la traite des personnes dans leur pays ou à l'étranger. D’après le Bureau international du travail (BIT), le travail forcé génère 150 milliards de dollars en profits illégaux chaque année, deux tiers provenant de l'exploitation sexuelle.

En Amérique latine par exemple, cette année, plus de 2 700 personnes victimes de trafic d’êtres humains ont été secourues. Dans le Sinaï, des milliers de réfugiés érythréens ont été vendus par leurs passeurs à des bédouins, torturés dans le but que leurs familles, installées en Europe, versent des rançons exorbitantes ou qu’ils soient tués et jetés dans des charniers.

De plus, avec la crise migratoire qui frappe l’Europe, le trafic d’êtres humains prend une ampleur sans précédent. En effet, selon une estimation onusienne, le trafic de migrants de l'Afrique vers l'Europe et de l'Amérique du Sud vers l'Amérique du Nord rapporterait pas moins de 7 milliards de dollars par an. Selon Interpol, le chiffre d’affaires annuel du trafic de migrants est estimé entre 5 et 6 millions de dollars en 2015, ce qui en fait l’une des activités les plus lucratives de la criminalité organisée en Europe.

Un rapport de la Commission européenne publié en mai dernier explique que des milliers d’enfants réfugiés en Europe ont disparu. Et pour cause : selon l'instance, au moins 10 000 sur les 96 000 mineurs non accompagnés ont demandé l’asile en Europe en 2015. Ils auraient été réduits en esclavage.

Nadia Murad Basee Taha, dont la nomination comme ambassadrice de bonne volonté a été officialisée à l'occasion de la Journée internationale de la paix, « donne une voix indispensable aux victimes de la traite qui continuent de souffrir, et qui demandent justice », a affirmé Ban Ki-moon.

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