Dans les étoiles, c’est la guerre, disent-ils, alors que sur Terre un consensus mou semble déjà plomber les critiques du prochain volet de Star Wars. L’attente est fébrile et paradoxalement déjà très enthousiaste pour à peine quelques minutes visionnées, avec raison ? David Meulemans, éditeur et docteur en philosophie, explique : « Tout le monde est en train de dire du bien de Star Wars mais pas nécessairement pour les bonnes raisons. Je ne souhaite pas nécessairement en dire du mal, car ça reste une grande œuvre cinématographique, mais de là à en dire du bien pour les mauvaises raisons, il y a une limite. »
La Guerre des étoiles : « De la science-fiction pas exigeante »
Star Wars déboule en 2015 au moment où le boulevard de la culture geek (ces accros de la techno qui sont dorénavant sortis de leur cave où trônait l’ordinateur) est devenu tout public, n’est-ce pas un peu trop ? « Je connais des gens hostiles à Star Wars, dit David Meulemans. Selon eux, il s’agit de science-fiction mainstream. A l’époque du premier film, l’équipe de Métal hurlant aurait dit à la sortie de la projection : " C’est la fin de la science-fiction exigeante ! " Pourtant ce qui est intéressant dans Star Wars, c’est le cœur mythologique, mais on ne peut bien évidemment pas contourner les robots. » Une plus grande attention serait d'ailleurs accordée aux décors pour ce nouveau volet, avec moins d’incrustations et plus de réalisme ?
« Je peux dire que j'ai beaucoup souffert quand George Lucas a estimé beau de mettre dans le décor des créatures faites du plastique le plus toc ou de la fourrure la plus peluchée. Mais aussi quand il a découvert les technologies numériques pour faire des machins encore plus toc et inventé le truc - ja Ja machin - le plus con et le plus moche de la galaxie. »
Mais de quoi Star Wars est-il fait ? « Je ne suis pas un héros ! »
Joseph Campbell, l’auteur du Héros aux mille et un visages, a soutenu la thèse selon laquelle dans chaque bonne histoire le héros passe toujours par les mêmes étapes du récit. « Son livre a eu beaucoup de succès grâce aux scénaristes d’Hollywood, affirme David Meulemans. George Lucas a dit que c’était une de ses grandes références et c’est même devenu une tarte à la crème. » Ainsi, l’acte un du récit commencerait toujours par une phase de refus de l’appel par le héros. David Meulemans s’en amuse : « On l’appelle : " Héros viens ! " Il répond : " Non, non je ne veux pas venir… " Alors bien souvent, ça créé une catastrophe et s’ensuit une sorte de culpabilité et donc le héros (c’était bien lui finalement!) se lance dans l’aventure. » L’idée (derrière tout cela) serait de montrer que le héros se lance volontairement dans l’action et non contraint par le destin. C’est ce qui distingue les films hollywoodiens des récits médiévaux sous-tendus par la notion de destin, souvent impérieux et auquel le héros ne pouvait se soustraire, mais aujourd’hui on a besoin de montrer que les gens sont volontaires et maîtres de ce destin. « D’ailleurs, si la structure narrative des épisodes 1,2,3 [dans leur ordre de sortie NDLR] était la plus intéressante, celle du 4,5,6 est nettement plus décevante. C’est le récit d’une chute annoncée, sur fond de déterminisme psychologique, donc sans suspens et nécessairement frustrant », ajoute David Meulemans.
« Star Wars a quelque chose d’enfantin »
Mais pour aimer Star Wars, il faut être un grand enfant, non ? « Les enfants ont tendance à croire que le monde est une émanation d’eux-mêmes et grandir c’est d’ailleurs percevoir l’extérieur comme étant indépendant de nous et résistant à tout ce que l’on fait. La Guerre des étoiles peut s’apparenter à du rêve éveillé et de la magie, avec quelque chose d’enfantin, car ce qui se passe dans notre cœur peut altérer le monde extérieur. »
Romain : « J'ai été fan de Star Wars pendant de longues années, totalement obsédé. J'avais sept ans quand le Retour du Jedi est sorti, ça virait à l'obsession. Je crois que c'est la créativité visuelle des films qui me subjuguait. Les monstres étaient très bien conçus : Jabba the Hutt, Bib Fortuna, etc. J'ai vu les trois films de la trilogie plus tard et je les ai adorés. Je suis passé à côté de la seconde trilogie : j'ai vu le premier épisode avec le batracien débile, j'ai détesté. J'ai compté les secondes. Pourtant, il n'était pas plus idiot que les Ewoks, mais la magie n'opérait plus parce qu'entre-temps, j'ai lu, j'ai grandi, je me suis intéressé à d'autres choses. »
« George Lucas a puisé ses idées dans un film de Kurosawa »
Mais Star Wars trouve largement son inspiration dans le scénario d’un film japonais, n’est-ce pas ? David Meulemans : « George Lucas n’a jamais caché avoir puisé ses idées dans le film de Kurosawa : La forteresse cachée. » Sorti en 1958, le film avait obtenu l’Ours d’argent à Berlin. Son scénario se base sur l’histoire d’une princesse pourchassée et d’un général en exil qui l’aide ainsi que deux paysans maladroits. Il est dit dans une fiche à propos de l’héroïne du film que « La princesse Yuki est un des personnages féminins les plus intéressants du cinéma d'action ou d'aventure. Intrépide et fière, élevée comme un homme, sans rien perdre de sa féminité, elle mène la vie dure au général Makabe, censé la protéger. » La princesse Leia sans la coupe de cheveux médiévale ?!!
Star Wars, c’est aussi la guerre des mythos
Avec Star Wars, « on est devant une structure de conte traditionnel qui repose sur l’idée que chaque personne se dit que le monde qu’elle a autour d’elle pourrait être plus étendu, plus grand », explique David Meulemans. On peut parler d’un appel de l’aventure qui nous emmènerait au loin, mais aussi de cette idée qu’on n’a pas la vie qu’on mérite. La base de l’histoire repose sur l’idée que : « Je suis l’enfant de paysans, mais en fait mes parents ne sont pas vraiment mes parents, je suis l’enfant d’un prince ou d’un roi ! Luke, c’est cela, il est élevé par des paysans, mais il a la force. C’est un truc quasi aristocratique. On est dans une structure de conte classique, très réconfortante. » Un peu comme Sans Famille d’Hector Malot en 1878. De là à épuiser l’entourage des fans ?
Marie : « Au début, quand j’ai emménagé avec mon ami, il y avait une petite pièce dans l'appartement qui ne servait à rien, un bureau qui est devenu, au fil des années, sa pièce dédiée à Star Wars. Dans notre nouvel appartement, il n'y avait plus la place pour le lieu de culte. Tous les objets, figurines... ont été emballés dans des cartons et remisés. Mais il en parle encore... et je vois régulièrement apparaître dans la déco de l'appart des petites figurines. Souvent, je ne les repère que longtemps après leur installation, quand elles sont déjà un peu recouvertes de poussière. J'ai repéré un distributeur Pez et une figurine de la nouvelle héroïne la semaine dernière. Régulièrement, je fais le ménage. La pièce dédiée maintenant, ce sont les WC. »
« L'attachement mène à la jalousie. A l'ombre de la convoitise, il grandit »
Selon le réalisateur Peter Jackson, les mythes ont une fonction de mise en garde, ces histoires nous enseignent comment nous devrions nous comporter. On peut aussi citer l'anthropologue français Claude Lévi-Strauss : « La valeur intrinsèque attribuée au mythe provient de ce que les événements, censés se dérouler à un moment du temps, forment aussi une structure permanente. Celle-ci se rapporte simultanément au passé, au présent et au futur. » Alors c’est le Jedi qui va nous instiller des conseils de vie lors de ses apparitions dans le film : « L'attachement mène à la jalousie. A l'ombre de la convoitise, il grandit. » Ou encore : « La peur mène au côté obscur. La peur mène à la colère. La colère mène à la haine. La haine mène à la souffrance ».
Emilie : « J'ai souffert en regardant Star Wars, épisodes 3 ou 4 ? Pendant l'automne avec mon copain de l’époque durant des samedis soirs. J'ai dormi un peu devant et j'ai dit durant la fameuse phrase : " Je suis ton père, Luke " . " Quoi? hein? Tout ça pour ça..." A ma droite, on me disait " Tu dors? ", " T'as compris? " Ensuite je l'ai quitté, bien sûr ! »
Star Wars, c’est tout de même le seul grand film américain où le héros est célibataire et pur comme un paladin médiéval. « Asexué, sans copine, on peut dire qu’il sublime ses pulsions sexuelles avec son sabre laser », rit David Meulemans, qui ajoute : « Dans la quête du Graal, il y a aussi cette idée de pureté sexuelle. Avec l’idée qu’on ne sait pas ce que c’est vraiment, on ne sait pas ce qu’on cherche. C’est un idéal. »
Romain : « Dans l’Étoile noire, il n'y a que des mecs : mais que font-ils de leur temps libre ? Il y a des filles dans ce truc ? Des bars ? Je suis plutôt bon public, mais là... Je capitule. »