Sur Internet, le X ne fait pas dans la dentelle

Depuis l’arrivée d’Internet, l’industrie du X poursuit sa mue. Entre course à l’innovation, piraterie, arnaque ou immersion en vision 3D, difficile de saisir le modèle économique de cet univers aux contours juridiques informes. A l’heure des réseaux sociaux et des nouveaux usages des internautes, nous avons interrogé Ghislain Faribeault, expert en numérique, à la tête de la division médias du producteur de films X Marc Dorcel et Stephen des Aulnois, fondateur du magazine en ligne français dédié à la culture pornographique Le Tag Parfait.

L'univers des sites à caractère pornographique est un domaine dont on parle peu. Pourtant, il ne s’agit pas du darknet (le web sombre) et on ne s’y échange ni drogue ni arme à feu. Ghislain Faribeault, responsable du numérique chez Marc Dorcel, le producteur de films X, s’en amuse un peu en révélant que « le premier site Internet français, ce n’est pas Dailymotion mais Xvidéos, classé 46e sur la liste des sites les plus fréquentés au monde ! ». Il ajoute aussitôt : « C’est un Français qui est derrière ce site, qui diffuse gratuitement des vidéos à caractère pornographique sans système de contrôle parental et sans protection des droits d’auteur. » Ce simple exemple démontre à quel point Internet a véritablement bousculé juridiquement et économiquement les moyens de diffusion des contenus pour adultes.

« Des Community Manager pour améliorer son image »

Stephen des Aulnois, du magazine en ligne français dédié à la culture pornographique Le Tag Parfait, insiste sur cette prédominance de ce qu’il appelle « les tubes », ces sites qui proposent des stocks de vidéos obtenues souvent de manière illégale et redistribuées gratuitement : « Les tubes comme Pornhub commencent même à avoir des équipes de Community Manager pour améliorer leur image. Pornhub représente quand même près de 30 millions de visiteurs uniques par jour ! ». Graphique à la main, Ghislain Faribeault montre un comparatif de progression des termes de recherche sur GoogleTrends :  Xvideos domine depuis 2013 ses rivaux comme PornHub, en stagnation, Youporn, en dégringolade et xHamster qui évolue peu.

« Chaque décennie a vu son changement technologique ! »

Stephen des Aulnois a pensé son magazine Le Tag Parfait en 2010, avec comme focus la culture pornographique. La particularité du magazine en ligne est d’avoir une écriture très féminine. « Je suis de plus en plus entouré de rédactrices », s’amuse Stephen des Aulnois qui s’efforce de poser un regard différent. Un regard qui semble propre à cette nouvelle génération consommatrice de pornographie : « On ne juge aucune sexualité, on ne fait pas de tri, tous les articles passent au même niveau. » Le producteur de films pornographiques français Marc Dorcel existe, quant à lui, depuis 1979 et Ghislain Faribeault souligne en souriant que c’est un peu « le dernier des Mohicans ».

On peut dire que la thématique (du sexe) demeure la même à travers les âges même si l’histoire de ses modes de diffusion est très liée aux évolutions technologiques - que Ghislain Faribeault résume ainsi : « Chaque décennie a vu son changement technologique : les années 1960 furent celles des magazines échangés sous le manteau, les années 1970 des films interdits aux moins de 18 ans au cinéma, les années 1980 celles de la VHS et de la télévision, et notamment de Canal+, les années 1990 celles du DVD et les années 2000 d'Internet ! ». Selon Stephen des Aulnois : « Le porno avait été cantonné au cinéma. La vidéo l’a amené à la maison puis Internet l’a transporté dans la chambre. Cette arrivée dans la chambre, avec moins de pression sociale, a fait exploser la culture pornographique. »

« L’industrie du X se vante d’être innovante »

Quelle nouveauté technologique pourrait de nouveau bouleverser l’industrie du X ? On a pu observer que les nouveaux casques de réalité virtuelle en trois dimensions, genre Oculus, s’échangent avec enthousiasme dans les bureaux de la société Marc Dorcel. Le consommateur du futur sera-t-il comme les joueurs de jeux vidéos, entièrement envahi par son sujet ? Ghislain Faribeault explique : « L’industrie a changé puisque le mode de diffusion a changé, avec comme résultats de nouvelles écritures et de nouvelles contraintes. »

Stephen de Aulnois temporise : « L’industrie du X se vante d’être innovante mais c’est souvent beaucoup d’opportunisme de leur part. » Car les plateformes de diffusion de contenus ont, certes, été à la pointe des nouvelles technologies, mais tout simplement pour en profiter de manière marchande, voire frauduleuse, sans jamais être précurseurs. « Certains producteurs ont très mal négocié les virages technologiques », explique aussi Ghislain. Ce qui fait dire à Stephen qu'en termes technologiques : « Le bilan est très insatisfaisant. Les Netflix ou Spotify du porno n’existent pas ! ».

« Aux États-Unis, les actrices ont toutes des agents »

Il faut souligner que l’industrie de la pornographie reste pleine de contradictions, entourée de problèmes légaux inextricables et demeure un milieu discret, voire clandestin. L’encadrement légal varie ainsi selon les pays. Quand, aux États-Unis, une actrice entourée d’une équipe utilise les réseaux sociaux pour faire de son travail une marque (avec compte Twitter aux milliers d’abonnés, page Facebook officielle, compte Instagram...), en France « c’est plus compliqué car la législation n’est pas la même, explique Ghislain. Vous ne pouvez pas engager de l’argent car c’est assimilé à du proxénétisme alors qu’aux États-Unis, les actrices ont toutes des agents. Elles sont organisées avec une mentalité de professionnelle. »

Castings et nombre de fans sur les réseaux sociaux

Pourtant, les réseaux sociaux ne seraient-ils pas en train de devenir le nerf de la guerre du X ? « C’est en tout cas devenu essentiel pour la communication », confirme Ghislain, qui mise beaucoup sur ce mode de diffusion. Les campagnes de la marque Marc Dorcel sont même citées en exemple dans le milieu de la publicité. « On est certifié par Facebook et Twitter », explique-t-il avec une fierté non feinte.

La prédominance des réseaux sociaux se voit même maintenant à l’écran : « Les castings de films peuvent se faire en fonction du nombre de fans sur les réseaux sociaux des actrices. Twitter est même devenu notre seul moyen d’expression car les médias tous publics ne nous laissent plus aucune place. » Pour Stephen, même cheval de bataille pour exister, voire même un cheval de Troie : « Facebook ça va, on sait comment ça se passe. Il y a même des règles écrites au-dessus de mon bureau. » Car le réseau social censure certes parfois, mais : « Facebook ne contrôle que le contenu qu’il héberge donc tout est propre chez nous. » Sous-entendu, pas de photo de sein, de sexe ou même de grossièreté dans le langage. « C’est comme quand on est chez quelqu'un, on ne va pas mettre ses chaussures sur le canapé. Chez Facebook c’est pareil. Après c’est un jeu de contournement du truc mais on ne prend aucun risque. »

« Juste une nouvelle une brèche pour faire du business »

C’est donc bien souvent un jeu de pas vu pas pris qui se joue sur les réseaux sociaux avec une censure qui a de réels fondements économiques : « Les réseaux sociaux bloquent les accès aux contenus pornographiques également à cause de l'exploitation commerciale qui en est faite. Ainsi, nombreux sont les webmasters qui veulent utiliser de faux comptes pour faire de l’argent pour du dating adulte (des sites de rencontre), par exemple. Pour eux, les réseaux sociaux représentent juste une nouvelle brèche pour faire du business. » L’univers des flibustiers du X, avec leur part d’ombre subversive, continue donc de sévir quel que soit le support. 

Partager :