France : l’érotisme est devenu grand public

Exposition itinérante qui sillonne la France de septembre à avril, le salon Éropolis a fait escale au Bourget, près de Paris. Il a donné l’occasion aux professionnels de l’industrie du sexe de rencontrer et de fidéliser leur public dans une ambiance décomplexée. Visite guidée.

Comme compressé dans un couloir de métro, en semaine, à 6 heures du soir. C’est la sensation que l’on éprouve en voulant sortir de la Zone 2 - celle réservée aux plus de 18 ans - du salon Éropolis qui s’est tenu au Bourget, près de Paris, à la mi-mars. Serrés comme des sardines, les uns allant dans un sens, les autres dans la direction opposée, il fallait aux visiteurs plusieurs minutes pour s’extirper de la masse et se frayer un chemin vers l’axe désiré. Les raisons d’une telle affluence : les stands comme ceux du mensuel Hot Vidéos ou de la webTV Jacquie et Michel où se trémoussent dans le plus simple appareil des actrices de film X, proies consentantes et lascives des objectifs et des smartphones braqués sur elles en permanence.

« On fait un métier atypique mais on l’aime »

Le salon Éropolis, c’est ça et plein d’autres choses encore, une célébration de l’érotisme et de la pornographie où des professionnels s’adressent à une clientèle, dans le plus strict sens commercial du terme, avec la plupart du temps, quand même, de la bonne humeur côté marchand et de la gaîté côté public. Le contraire eût été navrant. Première rencontre de cet après-midi mené au pas de charge, Christelle, la quarantaine avenante. Spécialisée dans la lingerie hommes et femmes, elle se déplace sur plus d’une vingtaine de salons de ce type durant l’année, en France et dans les pays limitrophes. Elle vend essentiellement en salon et en foire expo, n’a pas de boutique mais possède son site internet.

« Les gens consultent sur internet mais ils préfèrent quand même venir sur les salons pour acheter », observe-t-elle. « Chez les hommes, la tendance cette année, ce sont les slips qui deviennent de plus en plus sexy, en particulier les slips transparents, et même des slips avec de la dentelle. Pour la femme, poursuit-elle, c’est plutôt le scintillant, les strass, le brillant, depuis 2 ou 3 ans déjà ». « Les gens achètent beaucoup en couple », précise Christelle. « J’aime ce métier. Ça n’est jamais pareil. Les gens reviennent. Ils sont fidèles. On fait un métier atypique mais on l’aime et c’est l’essentiel », assure-t-elle, la mine convaincue.

L’amour du métier, Max et So Kelly (oui, So Kelly comme 'So Foot' ou 'So Film'), 28 ans chacun, le revendiquent pleinement. « Je suis danseuse professionnelle, strip-teaseuse et artiste en général », précise la brune élancée. « Je fais du " performing " avec Max mais, au salon, je suis là aussi pour animer les cabines, veiller à ce que tout se passe bien et que les gens repartent avec un beau souvenir, pas quelque chose de vulgaire ». Également coach sportive à ses heures, So Kelly jure ne pas travailler que pour l’argent, même si son métier est bien rémunéré. « On gagne mieux notre vie que dans le porno », claironne-t-elle. « Une scène porno, c’est 200, 250 euros. Nous, c’est ce qu’on prend pour faire un show. Sans les risques, sans être complètement nus et sans sexualité. Moi, je suis heureuse comme ça. J’ai essayé de changer de métier et je ne pourrai pas ».

« On fait des présentations comme les réunions Tupperware »

Sur le stand de leur boutique Toutelle, spécialisée en sextoys et lingerie, Samantha Ziegler et sa collègue aussi ont le sourire. Elles viennent d’Haguenau dans le Bas-Rhin. Ce n’est que leur deuxième salon mais elles n’ont pas l’air tracassées. « On voulait partir sur des huiles de massage et puis on s’est dit que tant qu’à aller sur ce thème-là, autant aller jusqu’au bout », avoue Samantha, encore amusée de son audace. « On a un fournisseur en Allemagne et on essaye nous-mêmes la marchandise », rigole-t-elle. « Ensuite on vend sur des salons ou lors de réunions ». Comment ça, des réunions ? « Eh bien oui, on fait des réunions de présentation, exactement basée sur les réunions Tupperware (démonstration-vente à domicile pour les célèbres récipients hermétiques en plastique, ndlr). Ce sont des réunions chez les ménagères ».

Un peu plus loin, Angélique Lepape, directrice et fondatrice de Love Boutique, s’étonne que l’on s’étonne. Ces réunions sont monnaies courantes (c’est le cas de le dire) depuis longtemps. Chez Love Boutique, leur mise en place est confiée à des « ambassadrices de secteur » lesquelles, pour les plus méthodiques, parviennent à en organiser jusqu’à neuf par mois. Ingénieure commerciale durant dix ans chez Canon, Angélique s’est reconvertie avec détermination dans le business de l’érotisme il y a quatre ans.

« En réalité, confie-t-elle, les techniques de vente sont les mêmes chez Canon ou dans l’érotisme. Peu importe le produit ». Son créneau : la qualité. Son crédo : l’exigence. « Chez Love Boutique, dit-elle, on a une cellule qui teste les produits. Et dès que le produit ne remplit pas trois critères : marque, qualité, efficacité, il n’est pas présenté, ni commercialisé ». Ses produits stars du moment ? Pour les femmes, une gamme de vibromasseurs révolutionnaires : « La gamme est ultra complète et va sur tous les diamètres, du plus réaliste au plus sophistiqué ». Et pour les hommes ? Un « gloss fellation » qui, comme son nom l’indique, est destiné à flatter un peu plus les parties sensibles de Monsieur lorsque Madame le gratifie d’une petite gâterie.

Le stand suivant prête moins à sourire (quoique) mais c’est un peu normal : on est dans le sadomasochisme. Spécialisé dans l’événementiel (sono, éclairage, décoration), Olivier Bresdin s’est rendu compte presque par hasard qu’il existait un créneau porteur : le matériel SM haut de gamme. « Comme dans la haute couture, on fait de la pièce unique », lance ce grand balèze, comme s’il s’agissait de mobilier Louis XVI. Carcans, croix de Saint-André, chevalets, pièces capitonnées, Olivier fait dans le sur-mesure pour des riches particuliers et pour les clubs et saunas libertins lesquels, dit-il, « ont de plus en plus de demande pour un coin fétichiste ». Et la location pour un week-end ? « Ça marche aussi : 150 euros TTC pour le chevalet sado-maso avec accroches, sans compter la livraison ».

« Il y a même un Monsieur qui a fait un malaise »

Pas gênées le moins du monde, Natacha et Sabrina, la trentaine curieuse, attendent dans la file avec leurs conjoints pour assister au tournage d’une scène de film X. En chair et en live. À la sortie, c’est quand même un peu la déception qui domine chez les deux femmes, consommatrices régulières de films X à la maison « mais pas tous les jours quand même ». « Il y avait un peu trop monde dans la pièce et on ne voyait pas bien au début, mais les hommes ont été galants, ils ont laissé passer les femmes devant », sourit Natacha. « C’était comme à la télé, ça se passe pareil, nu intégral », commente Sabrina, « sauf qu’il fait un peu plus chaud dans la pièce ! Il y a même un Monsieur qui a fait un malaise ! » « On a payé 15 euros par personne, renchérit Sabrina, mais c’était un peu cher pour ce que c’était, au niveau de la durée. À peine un quart d’heure ! ». Ajoutés aux 23 euros pour entrer au salon « mais en téléchargeant son billet, on ne payait que 7 euros » et aux 3,50 euros de l’heure de parking, l’addition devient vite corsée.

Dans l’espace réservé aux plus de 18 ans, la température monte de quelques degrés. Devant la spacieuse cabine spécialement aménagée pour elle, Lola Rêve s’ennuie un peu. Il faut dire que, pour le moment du moins, les clients ne se bousculent pas pour passer du temps avec elle. À 60 euros le strip-tease en tête-à-tête alors que, 20 mètres plus loin, les délurées de Hot Vidéos posent gratuitement toutes nues, la concurrence est rude même si l'expérience est nettement moins intime. Nouvelle égérie des productions Marc Dorcel, pour qui elle tourne en moyenne un film par mois, Lola Rêve (oui, c'est un pseudonyme) a atteint la célébrité en un an seulement. Elle n'a que 21 ans et n’a pas l’air de s’en étonner. « Avant même que mon premier film sorte, j’avais fait pas mal de couvertures chez eux. C’est mon côté jeune et naturelle qui leur plaît ». Et sinon, une gageure ces salons ? Non même pas. « On est en aucun cas obligée d’être là », insiste-t-elle avec une pointe d’accent de Montpellier. « On peut parler avec les fans, les rencontrer. Je ne fais qu'un week-end ou deux par mois ». Bref, pas le bagne, à l’en croire.

A deux pas de l’agitation du carré Hot Vidéo, il n’y a pas foule non plus sur le stand de Kalista Carra qui cumule la vente de DVD classés X et le rôle d’ambassadrice du site entrecoquins.com, « un site libertin pour des gens qui recherchent des aventures dans leur zone géographique », précise cette plantureuse brune dont la lèvre inférieure est traversée d’un fâcheux piercing. A l’évidence, Kalista n’est pas une novice. Basée au Cap d’Agde, station languedocienne dont la renommée en matière de naturisme et d’échangisme a largement dépassé nos frontières, Kalista est également actrice et productrice de X à ses heures. Bref, elle a fait le tour de la question. « Le libertinage se démocratise de plus en plus », se réjouit-elle. « Que ce soit dans les villes ou dans les petits villages de campagne, il y a toujours un moyen de rencontrer quelqu’un de libertin ».

Bilan de la visite : l’industrie du sexe s’est considérablement popularisée ces quinze dernières années et la clientèle est devenue de plus en plus décomplexée. Malgré la concurrence du web, les salons comme Éropolis (dix-neuf dates en France de septembre à avril) rencontrent un franc succès. Internet aurait même plutôt tendance à servir de relais à ce type d’expo dont le succès tient aussi au fait que la législation française se montre encore très conservatrice dans le domaine. En faisant se côtoyer érotisme et pornographie, commerces et spectacles, Éropolis offre un panorama assez complet d’un secteur d’activité en plein essor et profondément modifié par l’arrivée d’internet (lire l'interview de Dimitri Largo). En clair, chacun peut y trouver son compte en fonction de ses désirs, mais aussi de ses moyens.

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