Iran: les enjeux d'un accord atomique

L’accord entre l’Iran et le groupe «5+1» devrait aboutir à une levée progressive des sanctions internationales contre la République islamique. Techniquement, le programme nucléaire iranien fonctionnera toujours, mais sera extrêmement limité. L’annonce de la levée progressive des sanctions a déjà provoqué des scènes de liesse à Téhéran, où l’économie est exsangue. Mais il est encore bien difficile de savoir à qui profitera politiquement cet accord dans le pays, ni quelles seront ses implications au niveau régional.

« Une capitulation ». Mehdi Mozaffari n'a pas de mot assez fort pour désigner l'accord historique signé ce 14 juillet à Vienne. Alors qu'une partie du peuple iranien montrait sa joie, à l'idée d'une levée prochaine des sanctions, et que le régime faisait mine de se réjouir de la fin du cycle de négociations, le politologue iranien, qui vit et enseigne au Danemark, demeure sceptique quant au contenu même de l'accord. Certes, le programme nucléaire iranien n'a pas été démantelé, mais il a été très fortement limité: « Aucun des quelque 121 pays signataires du protocole consistant à se plier à l'inspection de l'agence atomique de Vienne n'a été soumis à ces conditions. L'exemple iranien est tout à fait unique au niveau du droit international. »

De fait, la République islamique va bien être autorisée à poursuivre la production d’uranium enrichi, mais elle va devoir réduire de deux tiers le nombre de ses centrifugeuses pendant 10 ans. L’Iran s’engage également à ne pas construire de nouvelle installation d’enrichissement d’uranium, et les stocks d’uranium enrichi seront également très fortement réduits. Quant au plutonium à capacité militaire, sa production sera stoppée, et le cœur du réacteur à eau lourde qui aurait pu en produire sera détruit ou déplacé à l’étranger. Même les sites militaires pourront être inspectés, ce qui a longtemps constitué l'un des principaux blocages à la signature d'un accord.

Alors pourquoi l'ayatollah Khameneï a-t-il accepté de céder autant de terrain aux négociateurs internationaux, après 13 ans de négociations acharnées, où chacun des points évoqués avait fait l'objet de positions extrêmement fermes de la part de la diplomatie iranienne ? « Il faut se rendre compte, au vu de la situation mondiale et internationale, que le régime n'avait pas vraiment d'autre choix que d'accepter un accord », reprend Mehdi Mozaffari. La perspective d'une levée des sanctions, même progressive a fait pencher la balance.

Bouffée d’air pour les Iraniens, triomphe modeste pour Rohani

Côté iranien, on attend en effet une bouffée d’oxygène. 150 milliards de dollars gelés à l’étranger vont pouvoir être débloqués, et le pays va de nouveau être accessible. « Cela va permettre une ouverture économique, l'accès au marché mondial, des voyages plus simples, explique Farhad Khosrokhavar, directeur d'étude à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS). Cela permettra surtout des transferts par la banque, et la mise en place d'entreprises de petites dimensions. Aujourd'hui, tout est bloqué parce qu'ils ne peuvent pas faire un transfert ou recevoir de l'argent. » Pour le sociologue, la levée des sanctions pourra même avoir un effet « prémonitoire », dans le sens où jusqu'à présent, les banques européennes, par exemple, refusaient des transferts pourtant légaux, par peur de la justice américaine. « La perspective de la levée des sanctions va faire baisser la tension », assure-t-il. Selon lui, l'objectif de l'équipe des négociateurs, et du président Rohani semble donc atteint.

Pourtant, le président iranien a le triomphe modeste, et, rappelle Mehdi Mozaffari, l'essentiel de portraits brandis par les manifestants qui saluaient l'accord dans les rues de Téhéran « étaient à l'effigie de Zarif [le ministre iranien des Affaires étrangères, Ndlr] et non de Rohani ». Cela peut s'expliquer de deux manières. D'une part, s'agissant de la qualité de l'accord, « un véritable camouflet » pour le régime, insiste le politologue. Le président iranien n'a peut-être pas un intérêt politique à se prévaloir d'une telle « victoire à la Pyrrhus ». Par ailleurs, souligne-t-il, Rohani a pu craindre que « si c'était lui qui avait été désigné comme vainqueur, alors il aurait pu s'attirer le feu de la jalousie du leader suprême (…) Si Rohani commence à prendre une importance politique, ils vont essayer de le déstabiliser. »

Une analyse néanmoins nuancée par Farhad Khosrokhavar, qui estime que le système n'est que « modérément verrouillé », surtout si on le compare aux autres Etats de la région. Il y a donc la possibilité pour Rohani de tirer avantage de la signature de cet accord. Ce dernier « va donner une légitimité accrue au groupe de Rohani. Encore faut-il qu'il l'exploite...» Pour le directeur d'études à l'EHESS, le président Rohani est en effet « un technocrate dans l'âme », et il ne pense pas qu'il profitera, pour le moment, de cet avantage que lui confère la levée à venir des sanctions pour amorcer une ouverture politique. D'autant que le Parlement est dominé par les conservateurs, ce qui lui laisse peu de marge institutionnelle. Une situation qui pourrait cependant évoluer lors des élections parlementaires à venir. « Au moment des élections, il y a pas mal de représentants du camp de Rohani qui passeront (…) S'il n'y a pas de fraudes majeures, je pense raisonnablement qu'ils auront la majorité. »

En outre, la levée des sanctions devrait, selon Farhad Khosrokhavar, permettre « à une classe moyenne exsangue de se reconstituer [et] devenir une opposition institutionnelle au sein du régime, capable, à partir des élections, de se mobiliser à nouveau. » Même si le sociologue ne se fait guère d'illusion à court terme. « L'échec du " mouvement vert " a eu pour conséquence l'expulsion ou la neutralisation de beaucoup d'acteurs sur le terrain. » Il faudra donc du temps avant qu'il retrouve une capacité d'action.

La stratégie de l'attente

Reste qu'en matière de politique étrangère, l'ayatollah Khameneï doit aujourd'hui faire face à un dilemme. La signature de l'accord, et la levée progressive des sanctions, saluées par le Guide suprême peuvent-elle s'accompagner d'une réelle « normalisation » des relations entre l'Iran et la communauté internationale ? « Qu'on le veuille ou non, estime Farhad Khosrokhavar, ça va contribuer à rapprocher les Etats-Unis de l'Iran de façon beaucoup plus tangible », voire au rétablissement des relations diplomatiques entre les deux pays. Il devrait également y avoir un rapprochement plus conséquent avec l'Europe, et notamment avec la France, que les deux spécialistes voient jouer une place importante dans la région. Même sur la question syrienne, la signature de l'accord pourrait, selon lui, avoir pour conséquence un rapprochement des positions entre les Occidentaux et l'Iran.

Cet apaisement des tensions au niveau international ne peut néanmoins s'opérer, selon Mehdi Mozaffari, sans de profonds changements au sein même du système iranien. « S'ils acceptent fidèlement, sincèrement et totalement cet accord, ainsi que de normaliser leurs relations au niveau international, dans ce cas, c'est le régime même qui serait en danger », affirme-t-il. Il admet néanmoins que la situation particulièrement instable la région imposait à l'Iran de trouver une issue aux négociations. « Je crois que l'ayatollah Khameneï et les forces qui le soutiennent ont tous considéré que dans la situation actuelle, la stabilité est préférable à la poursuite d'un discours révolutionnaire. En tout cas pour un temps ».

Cette dernière précision temporelle est utile, car pour le spécialiste de l'Iran, l'accord est fragile et pourrait s'inscrire dans une stratégie plus longue de la part de Khameneï. « Il est concevable que le régime espère des jours meilleurs. Il va y avoir des élections américaines, et aussi peut-être une montée de plus en plus accélérée d'un antagonisme entre la Russie et les Etats-Unis. En tout cas, ils ne perdent rien à attendre. L'attente fait d'ailleurs partie de la culture iranienne, ne serait-ce qu'au niveau de la religion. Les chiites ne sont-ils pas dans l'attente de l'imam caché ? ».

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