Les Rohingyas forment une minorité musulmane qui vit dans le nord de l’Etat côtier de l’Arakan. Mais ils ne font pas partie des 135 minorités officiellement reconnues par l’Etat birman. Les autorités ne reconnaissent pas même leur nom : elles les appellent Bengalis, les considérant comme des immigrés venus illégalement du Bangladesh. Ils seraient environ un million trois cent mille - dont près d’un million en Birmanie, qui sont apatrides. Pour comprendre qui ils sont, et l’origine qui fait débat, voici d’abord quelques repères historiques.
Les Rohingyas seraient les descendants de commerçants arabes, mongols, turcs, bengalis convertis à l’islam au XVe siècle - mais leur présence dans la région remonterait au VIIIe siècle, selon certains spécialistes. Ils se sont installés dans le royaume de Mrauk U, ou d’Arakan, qui au plus fort de son extension a englobé la moitié du Bangladesh, l’Etat d’Arakan actuel et l’ouest de la Birmanie méridionale. Ce royaume était entouré d’un côté par le royaume du Bengale et de l’autre par le royaume de Birmanie, comme l’explique Maxime Boutry dans son article L’arakanisation d’Arakan : les racines d’un nouvel exode ?
La période de la colonisation britannique a ensuite joué un rôle clé dans la délimitation et la population des territoires. Le royaume d’Arakan fut annexé en 1826 à la Birmanie par les Anglais. Ces derniers ont contribué à la fixation sur le territoire d’une forte population bengalie musulmane. Les musulmans furent enrôlés par les Britanniques pendant la Seconde Guerre mondiale, alors que les Arakanais bouddhistes combattirent aux côtés des Japonais. En 1942, des milliers de musulmans furent alors massacrés dans le sud de l’Arakan ; ces derniers, majoritaires au Nord, se vengèrent des Arakanais bouddhistes. Les tensions et les ressentiments remontent donc fort loin.
Trois degrés de citoyenneté
La Birmanie actuelle est une véritable mosaïque de populations : le pays est composé d’un ensemble de plaines centrales peuplées par l’ethnie majoritaire Bamar, bouddhiste. Il est lui-même entouré d’une ceinture d’Etats peuplés par différentes ethnies, bouddhistes pour beaucoup comme les Arakanais, chrétiennes comme les Kachin ou les Karens, et plus minoritairement musulmanes comme les Rohingyas et les Kamens. Point important, les Arakanais, bien que bouddhistes, constituent donc eux aussi une minorité. Et leur ressentiment est d’autant plus grand vis-à-vis des musulmans qu’à ce titre ils ont connu et connaissent encore la domination économique des Bamars. Malgré les récents développements de la Birmanie, l’Arakan reste l’un des Etats les plus pauvres du pays.
Après l’indépendance de la Birmanie en 1947, le gouvernement accorde aux Rohingyas une reconnaissance officielle. Mais les choses se gâtent en 1962 à l’arrivée de la dictature de Ne Win. Des politiques répressives sont mises en place, notamment à partir des années 1970. Elles causeront plusieurs exodes vers le Bangladesh frontalier : 200 000 à 250 000 Rohingyas ont ainsi fui le pays en 1977-1978 suite à une opération qui visait à contrôler leur identité et qui a donné lieu à de nombreuses violences. Et un même nombre de personnes a traversé à nouveau la frontière en 1991-1992.
L’adoption d’une nouvelle loi sur la nationalité par la junte militaire en 1982 les rend apatrides. Cette loi, qui établit trois degrés de citoyenneté différents, établit également la liste des 135 minorités officiellement reconnues, liste confirmée par la Constitution de 1988 et dont les Rohingyas sont exclus. Les autorités leur distribue, comme à tous les étrangers qui vivent sur le territoire, une sorte de permis de séjour temporaire, communément désigné carte blanche. La situation est ubuesque : jusqu’à fin 2014, les titulaires de cartes blanches ont le droit de vote et celui d’être élu. C’est ainsi que Kyaw Min, Rohingya et apatride, a été élu député de l’Arakan en 1990 avant d’être mis en prison avec toute sa famille. Une histoire racontée par sa fille sur RFI. Mais fin mars 2015, le président Thein Sein supprime cette fameuse carte blanche. Depuis, les Rohingyas n’ont plus aucun papier.
De virulentes campagnes antimusulmanes
Le projet du gouvernement est de procéder à la vérification de l’identité de toute cette population. Ceux qui pourront prouver la présence de leur famille sur le sol birman avant 1823 obtiendront des papiers, mais uniquement s’ils se déclarent Bengalis, et donc s’ils renient leur identité Rohingyas. En Birmanie, la religion et l’ethnie figurent obligatoirement sur les papiers d’identité. Tous ceux qui refuseront ou ne pourront apporter les preuves requises seront placés dans des camps. Au quotidien, la ségrégation est déjà bien ancrée : les Rohingyas ne sont pas libres de se déplacer, leur accès à l’éducation, à la santé et à l’emploi est très restreint.
Entre juin et novembre 2012, des violences éclatent entre Arakanais et Rohingyas. Elles font 180 morts et entraînent le déplacement d’environ 140 000 personnes. C’est le viol et le meurtre d’une jeune femme bouddhiste qui déclenche ce premier épisode. En 2013, les violences s’étendent à l’extérieur de l’Arakan et visent alors tous les musulmans. En mars de cette année-là, une dispute entre un commerçant musulman et un client bouddhiste déclenche des émeutes à Meiktilla. Bilan : 40 morts et des quartiers musulmans entièrement rasés. D’autres heurts ont fait plusieurs morts depuis dans différentes villes.
Le silence d’Aung San Suu Kyi
Ces violences s’inscrivent dans un contexte de tensions religieuses croissantes, avec la montée en puissance d’un courant bouddhiste nationaliste extrémiste dans le pays. Incarné tout d’abord par le « Mouvement 969 » du moine Wirathu, très impliqué dans les violences de ces dernières années avec de virulentes campagnes antimusulmanes, il se développe aujourd’hui au sein du Ma Ba Tha. Ce mouvement social et politique, très habile en communication et très actif sur les réseaux sociaux, s’implique dans l’action politique. Il est notamment à l’origine de projets de lois très controversées, les « lois pour la protection de la race et de la religion » qui visent principalement les musulmans.
Les moines engagés dans ce mouvement sont très minoritaires au sein de la Sangha, la communauté religieuse bouddhiste, mais leur discours selon lequel l’identité birmane est aujourd’hui menacée trouve un écho non seulement dans la population, mais aussi auprès des autorités. L’approche des élections législatives, prévues début novembre, n’y est sans doute pas pour rien. Elle explique peut-être aussi le silence de la grande figure de l’opposition, Aung San Suu Kyi, soucieuse de ne pas froisser une majorité d’électeurs Bamars.
« Camps de l’enfer »
Aujourd’hui, 140 000 personnes déplacées suite aux violences de 2012 vivent dans des camps dans l’Arakan. Les camps sont par ailleurs nombreux au Bangladesh. Cox Bazar, un camp d’environ 30 000 Rohingyas, est pris en charge par le HCR - qui les estime à plus de 200 000 dans le pays. La plupart vivent dans des campements de fortune. C’est souvent de là que partent ceux qui veulent rejoindre la Malaisie où beaucoup ont déjà de la famille ou des connaissances.
Mais comme l’a confirmé l’opération de la Thaïlande contre les trafiquants d’êtres humains début mai, d’autres camps, encore bien pires, attendent parfois les migrants sur la route de l’exil. Des « camps de l’enfer » où ceux dont les familles ne peuvent pas payer de rançon sont torturés, parfois jusqu’à la mort.
Réunis à Bangkok ce 29 mai pour un sommet international sur la crise des migrants en mer d’Andaman, les responsables bangladais et birmans se sont engagés à s’attaquer aux « racines » du problème. Pour la première fois, le sort des Rohingyas a été débattu publiquement, à un haut niveau. Mais en Birmanie, les récents développements internes ne prêtent pas à l’optimisme.