Comment expliquer le succès actuel du Rafale à l’export ?
C’est le fameux alignement des planètes, comme on dit en astrologie. Une vente comme celle qui vient d’être conclue avec le Qatar, ou celle qui a été conclue avec l’Egypte, est la conjonction d’un certain nombre d’événements permettant la réalisation du contrat. Les ventes d’armes ne sont pas du tout des ventes comme les autres. Elles impliquent les industriels, ceux qui fabriquent l’avion, mais aussi l’Etat : les services techniques de l’Etat, les militaires, les diplomates, etc. Tout le monde doit travailler de concert. Actuellement, on constate une volonté de la France d’exporter cet avion. C’était aussi vrai du temps de Nicolas Sarkozy mais, cette fois, l’équipe France s’est armée de patience et travaille dans l’ordre et la discrétion.
Quelle est la stratégie commerciale de la France ?
Le président François Hollande et son ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, ne tarissent pas d’éloges sur le Rafale mais ils ne se mêlent pas de la partie commerciale des contrats, qui reste du ressort du fabricant Dassault. « L’Etat crée les conditions du partenariat, dit souvent le ministre français, et les industriels négocient ». Dans l’autre sens, les industriels ne partent pas seuls à l’assaut d’un contrat ! Il faut le soutien de l’Etat et sa garantie pour que cela fonctionne. N’oublions pas qu’en France, c’est l’Etat qui est décisionnaire en matière d’exportation d’armement. L’Etat qui, à un moment donné, donne son feu vert pour exporter tel matériel vers tel pays ou qui dit « Non, on ne peut pas ». Souvenez-vous de l’affaire des Mistral pour la Russie ! La France a pu proposer à l’Egypte un paquet complet, incluant la livraison des avions, mais aussi la formation des pilotes et mécaniciens, qui a débuté en France, et surtout des solutions de financement par le biais de banques françaises. En ce moment, les banques ont des liquidités et peuvent prêter. Le contrat égyptien sert maintenant de base de négociation pour d’autres clients comme la Malaisie.
Y a-t-il des aspects plus techniques qui contribuent à l’exportation de cet avion ?
Le Rafale est à pleine maturité. La version disposant de toutes ses fonctions a été mise en service dans l’armée de l’Air française en 2006 – et en 2002, pour sa version marine qui, au départ, avait des capacités limitées. Cela fait donc dix ans que l’armée de l’Air française les utilise sur tous les fronts avec succès en Afghanistan, en Libye, au Mali, en Irak. A ce jour, aucune perte au combat n’a été enregistrée. Au bout d’un moment, l’expérience paye. L’état de la concurrence entre également en jeu. Aux Etats-Unis, le futur avion de combat qui doit être supérieur au Rafale n’est toujours pas au point. Et les pays qui avaient pensé acheter rapidement le F35 doivent revoir leur choix. En Russie, le Sukhoi 35 n’a toujours pas trouvé de client à l’exportation. Enfin, le Gripen suédois a été acheté par des pays qui n’ont pas de menaces directes dans leur voisinage : Brésil, Afrique du Sud. Le contrat suisse pour le Gripen a été dénoncé dans une votation : un référendum local sur la question.
On note aussi une évolution dans le jeu régional, au Proche-Orient et dans le Golfe…
Les Etats-Unis sont moins présents dans les monarchies du Golfe que dans les années 1990-2000. Obama a tendu la main aux Iraniens, et l’armée américaine n’a pas laissé un très bon souvenir en Irak où la formation de l’armée irakienne a été une catastrophe ; même chose en Egypte, avec les suspensions des livraisons de F16. Il y a donc en quelque sorte la recherche d’une troisième voie. Enfin, l’Egypte comme le Qatar constituent des clients historiques de la France, avec une relation de défense forte et des liens d’amitiés entre les armées de l’Air des deux pays.
Que va faire le Qatar de cet avion ?
D’un point de vue technique, le Qatar s’est aperçu, durant l’opération Harmattan notamment, que son armée de l’Air avait des capacités limitées : pas de ravitaillement en vol et des capacités très tournées vers la défense aérienne. Or, les pays de la région sont beaucoup plus offensifs. L’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis particulièrement ont fait le choix, il y a déjà quelques années, de disposer de missiles de croisière à longue portée ; le Qatar veut aussi entrer dans la cour des grands en achetant au moins 24 Rafale. Quantitativement, Doha multiplie par deux sa force aérienne et se donne aussi les capacités de frapper jusqu’au cœur de l’Iran, voire d’Israël si nécessaire. Le Qatar cherche à s’acheter de l’influence. Mais c’est aussi un signal de toute la région aux Etats-Unis, leur disant : « Vous n’êtes pas le seul partenaire, on peut se débrouiller avec les Français… » Et comme la France n’est pas une grande puissance, peut-être sera-t-elle plus malléable que les Etats-Unis ? Le Qatar est un pays grand comme la Corse. Il s’est totalement transformé en quarante-cinq ans, au point de vouloir peser sur les affaires du monde, tout simplement parce qu’il sait qu’en quelques heures, il pourrait être rayé de la carte. Souvenez-vous de l’invasion du Koweït par l’Irak en 1990.
Mais quelle est sa stratégie ?
L’émirat a développé une stratégie d’influence, une diplomatie secrète et des alliances particulières au point d’être considéré comme un pays déstabilisateur. Au fond, le minuscule Qatar s’achète de la profondeur stratégique. Quand une coalition se monte pour aller attaquer tel ou tel pays - comme en Libye en 2011 - ou quand quelqu’un dit : « Moi, je suis capable d’aligner des ravitailleurs, des avions de transport stratégiques et des avions de combat très modernes », d’un seul coup, cette coalition ou ce quelqu’un commence à peser dans les opérations. A condition, toutefois, d’avoir le savoir-faire qui va avec.