Après la décomposition de l’armée irakienne en juin 2014 et l’avancée fulgurante des rebelles sunnites et de l’organisation de l’Etat islamique, le chef religieux des chiites irakiens, l’ayatollah Ali Sistani, a lancé une fatwa appelant la population à se porter volontaire pour combattre l’EI. Ces affiches se mêlent aux affiches des martyrs, morts dans une bataille contre Daech. Le plus souvent, la famille choisit une photo du mort en tenue militaire, l’arme au poing. Ces images défilent au gré des rues.
La seule inconnue, c’est le nombre de victimes de cette guerre. La mobilisation populaire annonce 2 000 martyrs. Les Peshmergas au Nord, les combattants kurdes, à peu près le même chiffre, mais l’armée et la police irakiennes se font discrètes. Et combien de victimes civiles, ou dans les rangs des rebelles, des tribus ; de l’organisation de l’Etat islamique ?
« On circule mieux, on respire mieux »
Par une ironie toute irakienne, Bagdad n’a jamais été aussi vivante. Bien sûr, il y a toujours des explosions : le 15 avril dernier, six explosions ont fait une vingtaine de morts. Mais le nombre d’attentats a baissé, le Premier ministre a supprimé en mars le couvre-feu en place depuis près de dix années. Des rues bloquées par de hauts murs anti-explosion ont été rouvertes à la circulation, des barrages de l’armée ont été supprimés. Le réseau public d’électricité fonctionne même dans certains quartiers 24 heures sur 24. Les rues sont plus propres que jamais, on voit maintenant des camions-poubelles ramasser les ordures comme dans n’importe quelle grande agglomération.
« On circule mieux, on respire mieux ». Le soir, aux terrasses des cafés ou des restaurants, c’est ce qu’on peut entendre. Les Bagdadis s’étourdissent dans une valse de cafés, de restaurants et de centres commerciaux qui leur apportent les mêmes enseignes qui font les soirées de Dubaï ou d’Amman. Quand on leur rappelle qu’il y a une guerre à peine à 50 kilomètres, les clients haussent les épaules. « On en a assez de la politique ». Un déni, une envie d’oubli.
Les femmes en ont profité pour tomber le voile
Les jeunes gens racontent leur adolescence. Coincés à la maison, ils ont tous manqué une, voire deux années de scolarité. La guerre civile a cloîtré les habitants de Bagdad. Aujourd’hui, ils veulent s’étourdir. Occupés à d’autres questions, les partis religieux sont moins présents, les femmes en ont profité pour tomber le voile, et porter des jupes courtes. Le retour à la normale n’est qu’une apparence, bien sûr. Si le Musée national a rouvert comme un pied de nez aux destructions de biens culturels par le groupe Etat islamique, le ministère de la Culture n’a pas de budget, l’effort de guerre a vidé les caisses de l’Etat irakien. La chute du prix du baril a fait le reste. Certaines administrations ne peuvent même plus payer leur loyer.
Tout est suspendu à cet effort de guerre, il faut libérer le territoire irakien. Et les quartiers bourgeois du centre-ville de Bagdad diffèrent des faubourgs ; là-bas, chaque rue compte plusieurs martyrs, les tentes de deuil avoisinent les posters à la gloire de combattants tombés. Beaucoup de policiers sont également décédés. L’armée n’étant plus que l’ombre d’elle-même, la police fédérale combat quand les troupes manquent. Les couches les plus modestes de la population irakienne fournissent le gros de ces 80 000 volontaires qui combattent à Tikrit, Dyala ou Al-Anbar.
Les exactions de l’organisation Etat islamique effraient
Les milices qui composent cette Popular Mobilisation Unit - PMU - ont recruté principalement dans le sud irakien et parmi les chiites. Ils sont jeunes, très jeunes parfois, certains n’ont pas 18 ans. Ils sont fiers de défendre l’Irak. L’avancée de l’organisation Etat islamique a été un électrochoc. Les rangs se sont serrés. A Bagdad, on a parlé d’une « coalition nationale » pour sauver le pays. Où est-elle ? Il n’y a pas eu de traitement égal entre les volontaires chiites qui sont équipés et entraînés par le gouvernement et les volontaires des tribus sunnites. A Al-Anbar, ils ont reçu 1 500 kalachnikovs pour 10 000 volontaires.
Les discours ne masquent pas la réalité. La méfiance entre sunnites et chiites est plus forte que jamais. Le gouvernement irakien n’échappe pas à cette division. La population chiite, elle, est bercée de chants à la gloire des martyrs qui donnent leur vie pour protéger les mausolées des Imams et, pour beaucoup, les sunnites sont tous des suppôts de l’organisation de l’Etat islamique. Les exactions de l’EI effraient et desservent la communauté sunnite.
Les hommes politiques qui ont rejoint le gouvernement d’Abadi se désolent. Il n’y a aucun travail politique pour ressouder les Irakiens. En d’autres termes, l’après-Daech sera difficile, les Irakiens feront face aux mêmes problèmes. La communauté sunnite était discriminée, elle est politiquement devenue une minorité et cela entretient une violence née dans l’insurrection post-Saddam.