Polémique en Colombie après le cessez-le-feu avec les FARC

Appels sur l’actualité revient sur la suspension pour un mois des bombardements contre les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC). La décision, annoncée le 10 mars par le président Juan Manuel Santos, a été appliquée dès le lendemain par l’armée colombienne. Mais l’ex-président conservateur Alvaro Uribe, connu pour sa fermeté envers la guérilla marxiste, accuse son successeur de favoriser la « paralysie des forces armées ». De son côté, Santos dit œuvrer pour « une désescalade ». Son geste spectaculaire est censé accélérer le processus de paix et mettre fin ainsi au plus vieux conflit armé d'Amérique latine.

Qu’est-ce qui explique la colère d’Alvaro Uribe ?
Alvaro Uribe a toujours été adepte de la manière forte contre la guérilla des FARC, et il s’est toujours farouchement opposé aux négociations de paix entamées en novembre 2012 par le président Juan Manuel Santos, son ancien ministre de la Défense. Uribe a été président de la Colombie de 2002 à 2010 et il a considérablement diminué les capacités militaires de la guérilla par des bombardements d’envergure, en acculant les FARC dans des zones de plus en plus retranchées. C’est ce qu’il a appelé la stratégie de « sécurité démocratique ». Mais pour y parvenir, son gouvernement n’a pas toujours utilisé les moyens légaux. On se souvient, par exemple, du scandale des « faux positifs » : plus de 2 500 personnes tuées ont été présentées comme des guérilléros morts au combat alors qu’il s’agissait de citoyens que les militaires avaient tués puis déguisés avec l’uniforme des guérilléros pour « faire du chiffre ». Pour Uribe, décréter un cessez-le-feu unilatéral (entré en application le 11 mars dernier) de la part du gouvernement est donc inacceptable. Selon lui, les bombardements étaient le seul levier qui permettait d’infliger un coup aux FARC et d’être en position de force pour les faire plier.

Mais que reproche-t-il précisément au plan de Juan Manuel Santos ?
Ce plan de paix instauré par son successeur se fait, dit-il, en garantissant une « totale impunité » aux membres des FARC « qui ont du sang sur les mains ». Faux, rétorque Santos, assurant que « la paix ne signifie pas l’impunité » et mettant en avant la justice transitionnelle pour y parvenir… Pourtant, l’ex-président Alvaro Uribe a été l’artisan en 2003 de la démobilisation des Autodéfenses unies de Colombie, les paramilitaires, responsables de nombreux massacres. Une démobilisation controversée : beaucoup assurent que certains de ces « blocs » paramilitaires se sont réarmés ou n’ont pas été totalement désarmés et forment aujourd’hui ce qui est désigné sous le nom de « Bacrim » ou Bandes criminelles organisées. Certains des hauts responsables de ces « blocs » paramilitaires ont été extradés aux Etats-Unis ou ont purgé des peines de prison, mais la peine maximale encourue, y compris pour des crimes contre l’humanité, ne pouvait excéder huit ans, ce qui a été largement critiqué à l’époque. En outre, Uribe a toujours considéré les FARC comme « une organisation terroriste ». Il a toujours refusé de reconnaître qu’il y avait en Colombie un conflit armé interne, contrairement à ce que déclarait le Comité international de la Croix-Rouge, gardien des Conventions de Genève qui régissent le droit de la guerre.

Quelle forme prend la polémique ?
Dans son dernier message Twitter, Alvaro Uribe écrit : « Nous suggérons de prolonger les négociations autant que cela sera nécessaire et d’éviter de signer des accords qui seront néfastes à notre démocratie ». Pourtant, pour la première fois, des militaires ont pris part aux négociations à La Havane, la semaine dernière, sur la question de la fin du conflit. Une éditorialiste de Semana reproche à Uribe de rater le train de l’histoire : « Ne vous rendez-vous pas compte que vous risquez de vous retrouver tout seul à naviguer à contre-courant ? »

L’arrêt des bombardements contre les FARC est-il un aveu de faiblesse du président actuel ou au contraire un pas en avant pour la paix ?
Le conflit en Colombie dure depuis plus de cinquante ans. Le bilan est très lourd : 220 000 morts, 5,3 millions de déplacés et des milliers de disparus. Plusieurs tentatives de plan de paix ont échoué, et c’est véritablement la première fois que des discussions entre le gouvernement et les chefs de la guérilla des FARC arrivent à un tel niveau. Lors de son premier mandat, quand Juan Manuel Santos a succédé à Alvaro Uribe en 2010, sa stratégie a été la poursuite des combats contre la guérilla pour l’affaiblir. Mais à mi-mandat, en novembre 2012, il a entamé des négociations avec elle. Lorsqu’il s’est présenté pour un second mandat, et qu'il a été réélu en 2014, Santos a déclaré : « Mon premier mandat était celui de la guerre, le second sera celui de la paix ». Il sait que les Colombiens en ont assez de ce conflit, qu’ils aspirent à la paix. Il veut marquer son mandat d’une pierre blanche et positive. L'arrêt des bombardements pour un mois est un test et, dit-il, une « chance pour la paix ».

Pensez-vous que cette paix puisse être durable ?
Beaucoup redoutent que la paix ne soit que partielle. L’autre guérilla, l’Armée de libération nationale, l’ELN, n’a pas encore entamé de discussions de paix. Et plusieurs régions de Colombie sont minées par les Bacrim. Impliquées dans le trafic de drogue et l’extorsion, elles utilisent la violence pour soumettre la population. Les organisations humanitaires ont peur qu’une fois la paix signée, ces bandes criminelles s’imposent dans tous les espaces laissés vacants par la guérilla et sèment la terreur. Ces humanitaires qui travaillent au quotidien dans les régions les plus touchées par la violence espèrent donc que l’Etat comblera le plus rapidement possible ces interstices avec des institutions solides, ce qu’il tarde à faire.

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