Russie: qui a tué l'opposant Boris Nemtsov?

Boris Nemtsov, l’ancien vice-Premier ministre de Boris Eltsine, a été tué par balles le vendredi 27 février à quelques encablures du Kremlin. C’était l'un des principaux opposants à Vladimir Poutine. La manifestation de l'opposition à laquelle il s’apprêtait à participer le dimanche 1er mars a été remplacée par une marche en sa mémoire. Les premiers éléments livrés par les enquêteurs laissent entendre que l'assassinat a été « méticuleusement planifié ». Ce crime va-t-il à terme affaiblir l’homme fort du Kremlin non seulement à l’international mais aussi en Russie ? Analyse.

Boris Nemtsov, opposant au gouvernement russe, a été été tué par balles le 27 février à quelques encablures du KremlinCe n’est pas le premier assassinat d’un opposant politique depuis l’accession au pouvoir de Vladimir Poutine. Il y en a eu déjà plusieurs, dont le plus retentissant était celui de la célèbre journaliste Anna Politkovskaïa, qui enquêtait sur la corruption et sur la guerre en Tchétchénie. On pourrait donc dire ironiquement que les opposants meurent, mais que Poutine reste toujours au pouvoir.

Il n’y a pas vraiment de raison de penser que l’effet de l’assassinat de Boris Nemtsov sur la position politique de Poutine sera différent. Immédiatement après le meurtre, le puissant appareil de propagande au service du président russe s’est mis à diffuser les multiples hypothèses sur les motifs et les commanditaires du crime, souvent fantaisistes, mais une seule hypothèse, pourtant largement évoquée dans la presse mondiale, n’y apparaissait pas : celle de l’implication possible de Vladimir Poutine.

Qui contrôle les services spéciaux ?

En Russie, même les opposants au régime parlent le plus souvent d’une responsabilité indirecte de Poutine, à cause justement du système de propagande contre l’opposition et contre l’étranger qu’il a incité à se développer dans le pays. A la manifestation qui à suivi l’assassinat de Boris Nemtsov, nombreuses étaient les pancartes disant : « C’est la télé qui a tué Boris ».

Pour l’instant, rien n’indique que, suite à ce crime, Poutine ait perdu la maîtrise de son appareil d’Etat ou de la situation au pays. Reste une question délicate : celle du contrôle des services spéciaux, qui constituent la pièce maîtresse de son système de pouvoir. Pourquoi cette question dans ce contexte précis ? Eh bien, parce qu’on ne peut pas exclure que les services secrets russes aient été impliqués dans l’assassinat de Boris Nemtsov.

En tout cas, les indices connus publiquement grâce au seul enregistrement d’une caméra de surveillance, montré à la télévision et mis sur internet, laissent penser que le crime a été commis par un groupe très bien organisé, équipé d’une arme automatique et de moyens modernes de communication. Un groupe comprenant au moins un tireur de très haut niveau et disposant d’au moins une voiture, et peut-être même d’un camion des services municipaux. Un groupe enfin capable de synchroniser les actions de ses membres à la seconde près.

Quelqu’un a-t-il voulu ébranler Poutine ?

Un tel profil correspondrait plutôt à celui d’un petit détachement des services spéciaux. Et si on ajoute le fait que le groupe opérait à proximité immédiate du Kremlin, dans un espace parmi les mieux surveillés au monde et contre une personne parmi les mieux surveillées en Russie, le nombre de questions sur le rôle des services russes dans cette affaire ne peut qu’augmenter.

Dès lors, même si l’implication des services se confirmait, Poutine serait-il obligatoirement lui-même impliqué ? Bien sûr que non. En réalité, c’est la grande question du moment : si les services russes étaient vraiment dans le coup, pour qui ont-ils travaillé ? En gros, il y a deux possibilités : soit Poutine avait au moins gentiment suggéré à ses collègues de supprimer un opposant gênant, soit quelqu’un au sein des services avait décidé qu’il fallait ébranler Poutine et que l’assassinat de Nemtsov était un bon moyen de le faire. Poutine devrait connaître la réponse, mais il est peu probable qu’il nous la délivre.

Bref, après le choc, tout rentrera sans doute dans l'ordre en Russie, « ordre poutinien » bien entendu. En réalité, ce qui fragilise la position et l’avenir de Vladimir Poutine beaucoup plus que les assassinats politiques, c’est la très difficile situation économique du pays et l’absence de réformes du système qui s’appuie toujours sur les matières premières et qui devient de plus en plus inefficace. Le nationalisme exacerbé et les postures spectaculaires adoptées par rapport au monde extérieur peuvent repousser la solution de ces problèmes à plus tard, mais ils ne peuvent pas aider à les résoudre, tout au contraire.

Les Russes pas unanimes à soutenir le Kremlin

Cet assassinat pourrait avoir un double impact sur l’opposition russe, positif et négatif à la fois. Commençons par le positif. La manifestation de deuil du 1er mars suivie des cérémonies funèbres de Boris Nemtsov ont permis à l’opposition de se compter. Avec 50 000 à 70 000 personnes dans la rue, elle est parvenue à organiser sa plus grande manifestation de force depuis les marches de protestation contre l’élection de Vladimir Poutine. Le fait même de se voir aussi nombreux, de ne pas se sentir seuls et impuissants, peut inciter certains manifestants à rejoindre les rangs de l’opposition de manière plus active. Celle-ci a également réussi à montrer au monde entier que les Russes ne sont pas vraiment unanimes à soutenir la politique du Kremlin.

En même temps, à l’échelle russe, 70 000 personnes, ce n’est pas énorme. Cela l’est encore moins quand on songe au fait que parmi les manifestants, nombreux étaient ceux qui étaient venus rendre hommage personnellement à la victime du crime, sans être nécessairement d’accord avec l’opposition sur le plan politique.

Faire peur à beaucoup de Russes

Autre aspect négatif : l’assassinat visait, certes, Boris Nemtsov, mais il visait aussi à faire peur. Et il a sans aucun doute fait peur à beaucoup de Russes, qui l’ont ressenti comme le franchissement d’une nouvelle étape dans la violence politique, qui touche désormais également – et c’est vraiment nouveau – les anciens membres du gouvernement. En effet, Nemtsov était vice-Premier ministre à l’époque de Boris Eltsine. Donc, au lieu de mobiliser l’opposition, ce crime odieux et insolent pourrait aussi bien la paralyser. En réalité, il faut attendre encore pour voir quelle tendance prendra le dessus.

Concernant l’enquête sur ce crime, le gouvernement veut surtout montrer aux Russes qu’il s’y prend très énergiquement. Il y a au moins trois institutions qui s’occupent de l’enquête : la Commission d’enquête d’Etat, le ministère de l’Intérieur et le FSB, héritier du KGB, donc les services secrets. Mais, la grande quantité des fonctionnaires qui mènent au moins trois enquêtes distinctes ne garantit pas forcément la grande qualité de celles-ci. Il y a un proverbe russe qui dit : « Là où il y a six cuisinières, il n’y a rien à manger ». Dans ce cas précis, il n’y en a que trois, c’est vrai, mais vont-elles pour autant arriver à mijoter ensemble un repas copieux et savoureux ? Des doutes sont permis…

Et les soupçons qui pèsent sur l’Etat lui-même, ou sur certains de ses représentants, d’êtres impliqués dans l’assassinat, n’inspirent pas beaucoup de confiance quant à l’impartialité, la rapidité et l’honnêteté de l’enquête. De toute évidence, il manque à la Russie une institution vraiment indépendante de l’Etat et capable de mener une telle investigation. Et il y a peu d’espoir d’en voir émerger une avant la fin de l’enquête sur l’assassinat de Boris Nemtsov. Lors des enquêtes sur les précédents assassinats politiques de l’ère Poutine, les résultats obtenus consistaient au mieux à désigner les exécutants. Jamais les commanditaires n’ont été inquiétés, et encore moins punis. Il y a malheureusement fort à parier que dans le cas Nemtsov, l’histoire risque de se répéter. 

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