Élue à l’Académie française en 2010, elle était déjà « immortelle ». Son cercueil transféré aujourd’hui au Panthéon, un an et un jour après sa disparition, voilà désormais Simone Veil « éternelle ». C’est un destin à tous points de vue hors du commun pour une femme au parcours exemplaire qui fut d’abord et avant tout la survivante d’un drame à la fois collectif et personnel qui l’aura marquée pour une vie entière. Survivante de la Shoah, le génocide des juifs durant la Seconde Guerre mondiale, Simone Jacob, son nom de jeune fille, avait été déportée en mars 1944 à l’âge de 16 ans au camp d’Auschwitz avec ses parents André et Yvonne et son frère Jean qui n’en sont pas revenus, et l'une de ses deux soeurs, Madeleine, surnommée Milou. Son autre soeur, Denise, sera arrêtée par la Gestapo et déportée en juillet de la même année au camp de Ravensbrück.
Réchappée de justesse de l’Holocauste, elle avait rencontré Antoine, son futur mari, en février 1946 à Sciences Po alors qu’elle n’avait que dix-huit ans et lui dix-neuf. Le coup de foudre avait été mutuel entre les deux jeunes gens qui s'étaient mariés huit mois plus tard. Couple qualifié de fusionnel par tous leurs proches, Simone et Antoine, mariés durant 67 ans, vont continuer à reposer ensemble mais sous la coupole du Panthéon. C’est un petit clin d’œil de l’Histoire en direction de celle qui avait milité auprès du président François Mitterrand pour que les femmes, à l’égal des hommes, soient célébrées dans ce monument à la gloire des plus grands Français, situé en plein cœur de Paris, dans le Vearrondissement.
Une femme déterminée
« Ses yeux pers dans un visage éclatant réfléchissaient le vécu d'une tragédie indélébile », avait écrit à son propos Antoine Veil, lequel avait pour sa part échappé à la déportation, contrairement à sa sœur. Leur vie conjugale s’était d’abord construite autour de sa carrière à lui, jeune énarque vite engagé comme conseiller d'ambassade. Simone Veil l'avait ainsi accompagné à la fin des années 1940 à Wiesbaden puis à Stuttgart où il avait été nommé. À des proches qui s'en étaient indignés, elle avait expliqué qu'il fallait « distinguer les nazis des Allemands dans leur ensemble », une attitude lucide mais témoignant aussi d’une grandeur d’âme particulière. Durant les premières années de la vie du couple, c’est donc le mari qui tient le haut de l'affiche. Peu enclin à pousser sa femme à travailler, Antoine Veil voit d’ailleurs d'un mauvais œil le souhait de Simone de devenir avocate.
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Se souvenant que son père avait empêché sa mère de poursuivre ses études après son mariage, Simone Veil décide quand même de devenir magistrate, preuve d’une détermination qui fera toujours sa force. Auparavant, elle a déjà donné naissance à trois fils (Jean en 1947, Claude-Nicolas en 1948, décédé en 2002, et Pierre-François en 1954). À la Chancellerie, sa capacité de travail ne passe pas inaperçue et elle devient, en 1970, la première femme désignée secrétaire générale du Conseil supérieur de la magistrature. C’est là que Jacques Chirac la repère. Nommé Premier ministre en 1974, il la propulse ministre de la Santé. C’est une première pour une femme, une voie de pionnière qu’elle poursuivra en devenant, en 1979, la présidente du premier Parlement européen puis, en 1993, la première femme ministre d'État en France et, dans la dernière partie de sa vie, seulement la sixième femme à être admise à l'Académie française, en 2010.
C’est son combat pour faire adopter en 1975 la loi sur l'interruption volontaire de grossesse - contre une partie de la droite, son propre camp - qui l'avait fait connaître du grand public. Elle était devenue un peu plus tard la personnalité politique la plus populaire du pays. Passé au second plan dans le couple, Antoine Veil eut l’intelligence et l’humilité d’accompagner la carrière de son épouse sans en concevoir ni jalousie ni aigreur. Remisant ses ambitions de jouer un rôle en politique, il aura privilégié les affaires, enchaînant les hauts postes : directeur général de la compagnie aérienne UTA, président du comité stratégique du groupe Bolloré, PDG de Manurhin, de Matra transport, d'Orlyval, administrateur d'Havas.
« Je pense avoir su l'écouter et avoir su la lire entre les lignes. Mais les déportés parlent surtout entre eux », a dit celui qui fut aussi conseiller régional centriste d'Ile-de-France, et conseiller municipal de Paris. En 2010, après une visite au camp d'Auschwitz-Birkenau, où elle avait été déportée, Simone Veil avait dit de son inséparable « Tony », qui tenait à voir ce camp avant leur mort : « Il vit beaucoup plus pour moi que je ne vis pour lui » .Grand Officier de la Légion d'honneur et Commandeur de l'Ordre du Mérite de la République fédérale d'Allemagne, Antoine Veil est décédé en avril 2013.
L’hommage de la nation
Vendredi et samedi, les cercueils de Simone et Antoine Veil avaient été exposés dans la crypte du Mémorial de la Shoah à Paris – mémorial dont Simone Veil était l’un des membres fondateur avant d’en être, de 2001 à 2007, la présidente. Pour la journée d’intronisation de dimanche, l'Elysée et le Centre des monuments nationaux ont mis en scène une cérémonie solennelle forte en symboles. Depuis un an, partout en France, un grand travail a été fourni sur la mémoire de Simone Veil, notamment dans les classes mais aussi à l'occasion d'inaugurations de rues ou de places à son nom, notamment à Paris où la station de métro Europe et la place de l’Europe, dans le 17e arrondissement, ont été rebaptisées du nom de la grande dame.
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Ce dimanche matin, le cortège funèbre a traversé la Seine et le Quartier latin, puis les cercueils ont remonté la rue Soufflot jusqu'au Panthéon sur une moquette bleue, « couleur de la paix, de l'ONU et bien sûr de l'Europe », a précisé l'Elysée. La cérémonie du Panthéon en elle-même a rassemblé un millier d'invités, dont les anciens présidents Nicolas Sarkozy et François Hollande ainsi que les membres du gouvernement et de nombreux élus. L'Elysée avait annoncé dès vendredi 29 juin que le président en exercice Emmanuel Macron prononcerait un discours sur « cette figure contemporaine qui a mené ses combats avec un temps d'avance » et n'a cessé d'agir « dans un esprit de réconciliation ».
La famille entre honneur et déchirement
L'entrée de sa mère au Panthéon est « un immense honneur », a reconnu Pierre-François Veil, son second fils encore vivant, à Madame Figaro. Mais c'est aussi « un second arrachement » parce que « nous devons désormais partager notre mère » et que « le Panthéon et sa crypte n'incitent guère à la conversation intime ». A l'Elysée, on s’est dit conscient que, pour leurs descendants, « l'annonce de la panthéonisation a rendu leur deuil impossible », avec « l'étrange déchirement entre la fierté de voir leurs parents entrer au Panthéon et une forme de douleur de les voir exhumés, transférés, réinhumés... ».
L’an dernier, lors de l'hommage national aux Invalides, Emmanuel Macron avait déjà salué les « combats du siècle » dernier menés par Simone Veil. Notamment sa « bataille pour que cessent les conditions sordides et meurtrières dans lesquelles se déroulaient les avortements » lorsque, ministre de la Santé de Valéry Giscard d'Estaing, elle avait porté en 1974 la loi sur l'interruption volontaire de grossesse (IVG). La cérémonie de dimanche a commencé comme prévu à 11H00 précises (9H00TU) au son d’un violoncelle sur le parvis du Panthéon et sous le chaud soleil de ce début de juillet.
Portés chacun par six gardes républicains, les deux cercueils de Simone et Antoine Veil sont arrivés sur le tapis bleu couleur Europe. Ensuite, un texte témoignage préenregistré de Simone Veil a été diffusé dans les hauts-parleurs, texte dans lequel elle a parlé de ses parents morts en déportation. Puis les porteurs des cercueils se sont avancés le long de la rue Soufflot, accompagnés d'applaudissements pleins de retenue des spectateurs massés de part et d'autre de l'artère qui mène à la place du Panthéon.
« Merci Simone »
Sur le parcours, plusieurs femmes portaient des t-shirts barrés d'un « Merci Simone ». « Elle a brisé tous les plafonds de verre, celui de la place des femmes dans la société, mais aussi celui de l'extermination des juifs: c'était un tabou qu'elle a brisé », a expliqué à l'Agence France-Presse Bernard Greensfeld, un badaud, devant le Mémorial. « Elle n'entre pas au Panthéon en tant que victime de la Shoah, mais comme quelqu'un qui a vaincu cette horreur. Et c'est pour ça qu'elle est dans le cœur des gens », a-t-il encore estimé.« Simone Veil est d'abord pour moi l'héroïne du XXe siècle », avait pour sa part déclaré l'ancien président de la République Nicolas Sarkozy au Journal Du Dimanche. « Elle ne cédait pas sur ses valeurs. Elle pouvait tolérer des désaccords, mais elle ne supportait ni la lâcheté, ni l'hypocrisie, ni le mensonge ».
Seulement la cinquième femme au Panthéon
Le président Emmanuel Macron a prononcé un discours de 25 mn durant lequel il a rendu hommage aux combats de Simone Veil. « La France aimait Simone Veil » a-t-il appuyé. Il a rappelé que la décision de la transférer avec son mari au Panthéon « ne fut pas seulement la (sienne), ce ne fut pas non plus celle de sa famille qui cependant y consentit, cette décision fut celle de tous les Français ».
« C'est intensément, tacitement, ce que toutes les Françaises et tous les Français souhaitaient (...) Avec Simone Veil, entrent ici ces femmes qui ont fait la France sans que la Nation leur offre la reconnaissance et la liberté qui leur était due », a ajouté le chef de l'État. Il a également rendu hommage à Yvonne Jacob, née Steinmetz, la mère tant aimée de Simone Veil, morte du typhus quelques jours avant la libération du camp où elle avait été déportée. Puis à Antoine Veil « son chevalier servant », ce « haut fonctionnaire doué pour la vie ».
À l’issue du discours, La Marseillaise interprétée par la chanteuse lyrique Barbara Hendricks accompagnée par le chœur de l’Armée française a retentit sur le parvis. Puis a été observée une minute de silence durant laquelle a été diffusé le son du « silence » du camp d’Auschwitz Birkenau, où a été internée Simone Veil, moment enregistré sur place en Pologne, le 17 juin dernier à l'aube, par le réalisateur David Teboul. Les deux cercueils recouverts du drapeau français sont entrés par le portail monumental du Panthéon en présence du président et de son épouse Brigitte, des deux fils encore vivants du couple Veil et de leurs descendants, au son d'un solo de violoncelle de la suite numéro 5 de Jean Sébastien Bach. Cette entrée a été applaudie par le millier d'invités et les nombreux anonymes qui avaient suivi la cérémonie autour du Panthéon.
Simone Veil reposera à partir de lundi avec son époux dans le sixième caveau de la crypte aux côtés de Jean Moulin, André Malraux, René Cassin et Jean Monnet, « quatre grands personnages de notre Histoire », qui « furent comme elle des maîtres d'espérance », selon Emmanuel Macron. Avec elle, c'est aussi le martyr juif de la Seconde Guerre mondiale qui fait, pour la première fois, son entrée sous la coupole du monument. Simone Veil est par ailleus seulement la cinquième femme à être inhumée au Panthéon après Simone Berthelot, Marie Curie, Geneviève de Gaulle-Anthonioz et Germaine Tillon. Le monument sera exceptionnellement ouvert gratuitement au public jusqu'au 8 juillet.
(avec AFP)