« Rien de milite en faveur d’un attentat terroriste », assurait jeudi le procureur de la République de Marseille Brice Robin. « Il n’y a pas d’indice d’un contexte terroriste », confirmait-on jeudi du côté allemand. C’est donc la théorie du suicide qui semble être privilégiée par les enquêteurs. Andreas Lubitz, jeune copilote de 28 ans, aurait délibérément précipité l’appareil et les 150 personnes à son bord sur un massif des Alpes françaises, mardi 24 mars 2015.
Une thèse renforcée par de récentes révélations de la presse allemande sur les tendances dépressives d’Andreas Lubitz. Selon le quotidien Bild, l’homme aurait souffert d’une grave dépression en 2008 qui aurait causé une interruption de sa formation.
Andreas Lubitz ne serait pas le premier à commettre un tel acte. En 1994, un avion de la Royal Air Maroc s’écrasait près d'Agadir entraînant la mort des 43 passagers et de l’équipage, dont le pilote qui avait décidé de mettre fin à ses jours en précipitant son ATR vers le sol.
En 1999, le vol 990 Egypt Air reliait Los Angeles au Caire quand il s’est abîmé dans l'océan Atlantique tuant les 217 personnes à bord. L'enregistreur phonique de la boîte noire a révélé que le pilote était sorti du cockpit pour aller aux toilettes. On entend alors son copilote dire « Je me confie à dieu », des coups sourds sur la porte de la cabine et une voix suppliant le commandant d’ouvrir.
Plus récemment, en novembre 2013, le vol 470 LAM Mozambique Airlines reliait le Mozambique à l’Angola. L’appareil s’écrase dans le nord de la Namibie, coûtant la vie aux 33 occupants. L’enquête a conclu que le commandant de bord a volontairement crashé l’avion.
Suivi psychologique
Les compagnies aériennes sont-elles impuissantes face à l’instabilité psychologique de leurs pilotes ? « Durant notre formation, nous subissons des tests psychomoteurs et aussi psychologiques. Les candidats sont suivis durant cette formation par des psychologues. Il s’agit d’une spécialité de Lufthansa qui mène une des formations les plus sévères au monde. Beaucoup de compagnies ne le font pas », indique Jörg Handwerg, porte-parole du syndicat de pilotes allemands Cockpit.
En revanche, les pilotes ne se soumettent à aucun examen une fois leur formation achevée. L'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) a réaffirmé jeudi la nécessité que les pilotes d'avions fassent l'objet d'un suivi psychologique et physique régulier, après le drame de la Germanwings. « Les pilotes d'avion doivent subir un examen médical périodique (effectué par un spécialiste de la médecine aérospatiale) qui comprend à la fois une évaluation physique et mentale », a indiqué l'agence spécialisée de l'ONU dans un communiqué rappelant ses standards et pratiques recommandées. « Si ce suivi médical soulève des inquiétudes, d'autres évaluations, plus spécialisées, peuvent être menées, y compris des tests neuropsychologiques », ajoute l'OACI.
« Nous estimons que des tests psychologiques après la formation seraient prématurés. Nous volons depuis plusieurs décennies et à ma connaissance aucune compagnie au monde ne mène des tests psychologiques réguliers pour ses pilotes. Nous n’avons pas eu de tels tests jusqu’à présent et nous nous en sommes passés. Il y a eu dans l’histoire de l’aviation quelques cas de suicides commis par des pilotes aux commandes de leur avion. Mais dans le cas actuel, il faut rappeler que cela n’est pas encore prouvé », rétorque Jörg Handwerg.
Pour Carsten Spohr, le patron de la compagnie aérienne allemande Lufthansa, propriétaire de la filiale Germanwings, « quelles que soient les mesures de sécurité que vous pouvez avoir dans une société, quelle que soit la rigueur des procédures, rien ne pourrait empêcher un tel acte isolé ».
AENA, l'organisme espagnol chargé de la gestion des aéroports, a laissé entendre qu'il faudrait désormais obliger les compagnies aériennes à donner des garanties sur leur pilotes, leurs formations, et les livrer aux autorités nationales.
Deux personnes dans le cockpit
Suicide ou acte de terrorisme, le geste d’Andreas Lubitz a été rendu possible par l’absence du commandant de bord dans le cockpit. Selon les enregistrements livrés par la boîte noire, Lubtiz aurait interdit l’accès à la cabine à son pilote. Ces informations ont conduit plusieurs compagnies, dont la norvégienne Norwegian Air Shuttle, la britannique EasyJet, ou encore les canadiennes Air Transat et Air Canada, à imposer la présence en permanence de deux personnes dans les cockpits de leurs appareils pendant toute la durée du vol. « On discute de cela depuis longtemps mais cet épisode a accéléré les choses », a fait savoir jeudi Thomas Hesthammer, responsable des opérations de vol de la Norwagian.
La fédération allemande du secteur aérien a annoncé jeudi vouloir faire de même. Au lendemain de l'annonce, les compagnies allemandes ont fait savoir qu'elles adoptaient cette mesure de sécurité. La décision a également été prise par le gouvernement fédéral du Canada pour toutes les compagnies aériennes du pays. La règle s'applique « immédiatement » a précisé jeudi la ministre canadienne des Transports Lisa Raitt.
Ce vendredi matin, deux nouvelles compagnies, Corsair et Thomson Airways ont également rendu la présence de deux personnes obligatoire dans le poste de pilotage.
Aux Etats-Unis, ce dispositif de sécurité a été mis en place après les attentats du 11 septembre 2001. Le code de la Federal Aviation Authority (FAA) précise que pilote et copilote doivent demeurer dans le cockpit du décollage à l'atterrissage et durant le vol. Si l'un d'eux doit en sortir « pour réaliser des tâches en liaison avec les opérations de l'appareil (ou) pour des besoins physiologiques », la FAA impose la présence d'un membre de l'équipage dans le cockpit.
En Europe, les compagnie Finnair, Ryanair et Iberia appliquaient déjà cette mesure. Mais cette disposition a ses limites considère Ilja Schulz, le président du syndicat allemand des pilotes Cockpit. « C'est une idée qui est évoquée par beaucoup. Mais cela ne garantirait pas non plus 100 % de sécurité, parce qu'un collègue pourrait alors en terrasser un autre dans la cabine de pilotage », oppose-t-il.