Affaire Tarnac: retour sur dix longues années de procédures judiciaires

Les principaux prévenus du procès du groupe de Tarnac, Julien Coupat et Yildune Lévy, ont été relaxés jeudi 12 avril des poursuites de sabotage d'une ligne SNCF et d'association de malfaiteurs pour lesquels ils comparaissaient devant le tribunal correctionnel de Paris depuis le 13 mars en compagnie de six autres personnes. Ils étaient initialement poursuivis pour terrorisme. Cette affaire a connu de nombreux rebondissements au cours de ces dix années de procédures judiciaires.

Le 11 novembre 2008, les habitants du village de Tarnac, situé sur le plateau des Millevaches en Corrèze, sont réveillés par l’irruption d’une centaine de policiers. Ils viennent chercher quinze personnes, résidant dans l’une des fermes de la commune, pour les placer en garde à vue. Ces hommes et ces femmes qui appartiennent à une communauté libertaire sont soupçonnés avec d’autres d’avoir saboté dans la nuit du 7 au 8 novembre 2008 des caténaires de lignes SNCF dans les départements de l’Oise, de l’Yonne et de la Seine-et-Marne. Ce sabotage a été la cause de nombreuses perturbations sur le réseau ferroviaire entre Paris, Strasbourg et Lille.

A la tête de cette communauté, un leader présumé : Julien Coupat. Agé de 34 ans à l’époque, ce fils d’un médecin et d’une cadre supérieure a plaqué son doctorat qu’il préparait à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) pour partir tenir une épicerie au cœur d’un village corrézien. Repéré par le FBI en compagnie d’anarchistes américains jugés dangereux puis en train de franchir clandestinement la frontière entre les Etats-Unis et le Canada début 2008, il est, dès lors, fiché comme membre de l’ultra-gauche française et entre dans le viseur du renseignement français. Des écoutes et des filatures sont alors mises en place.

Alors qu’il est suivi depuis déjà plusieurs mois, les services de police l’aperçoivent, avec son amie Yildune Lévy, la nuit des faits à seulement quelques kilomètres d’une des voies ferrées endommagées, située au niveau de la ville de Dhuisy, en Seine-et-Marne. S’ils ne l’ont pas directement vu en train de poser le fer à béton sur le caténaire, ils affirment que l’homme aurait quitté quelques minutes son véhicule avant de repartir. Trois jours après le sabotage, Julien Coupat est donc mis en garde à vue puis écroué avec cinq autres personnes pour « association de malfaiteurs à caractère terroriste ».

« Mouvance anarcho-autonome »

Des « terroristes » ? Des « illuminés » ? Des personnes appartenant à « la mouvance anarcho-autonome » comme l’affirme, à l’époque, la ministre de l’Intérieur, Michèle Alliot-Marie. Dès les premières heures de la garde à vue, la cellule politico-médiatique s’emballe. Pourtant, très vite, les suspects sont relâchés les uns après les autres. Après six mois d’incarcération, Julien Coupat est à son tour libéré sous contrôle judiciaire. Si le dossier d’inculpation est dense, avec près de mille pièces et procès-verbaux, il ne comprend ni aveu, ni preuves matérielles et un seul témoignage anonyme à charge.

L’ensemble des sabotages ont été revendiqués le 9 novembre 2008, à Berlin, par des activistes allemands qui assurent les avoir menés en souvenir d’un militant antinucléaire écrasé par un train « Castor » transportant des matières radioactives. Pour la police française, ce groupe n’a pas pu agir seul et aurait notamment bénéficié de l’aide du « groupe de Tarnac ». Pour preuve, leur présence non loin de deux des lieux du sabotage la nuit du 7 novembre. Trois hommes membres du groupe ont été également repérés dans une voiture près d’une autre ligne TGV endommagée.

Le désormais fameux procès-verbal « D 104 » de filature indique que, cette nuit-là, le couple Coupat-Lévy aurait dormi dans sa voiture au Trilport, en Seine-et-Marne, là où des policiers les ont vus jeter dans une poubelle un emballage de lampe frontale et des guides du réseau SNCF ainsi que des horaires de TGV. Le témoin anonyme, quant à lui, accable Julien Coupat qu’il présente comme « un leader charismatique, l’idéologue du groupe, une sorte de gourou faisant peu de cas de la vie humaine et ayant pour objectif final le renversement de l’Etat ».

Fiasco de l'antiterrorisme

Pourtant, au cours de la procédure judiciaire, nombre d’erreurs sont venues s’accumuler du côté des éléments à charge retenus par la police antiterroriste. En novembre 2011, les mis en examen portent plainte à Nanterre pour faux et usage de faux. Ils accusent les policiers d’avoir créé de toute pièce un procès-verbal mensonger qui leur aurait permis de parfaire leur dossier d’accusation contre le « groupe de Tarnac » dans le sabotage de Seine-et-Marne.

Autre rebondissement en octobre 2012 : la défense assure que la carte bancaire de Yildune Lévy a été utilisée la nuit du 7 novembre 2008 à Paris. A Pigalle, à 2h44 précise, un retrait de 40 euros a été effectué avec. A la même heure, selon le procès-verbal de filature établi par les policiers, le couple était en train de dormir dans sa voiture au Trilport. Un retrait qui ne peut à lui seul pour autant former un alibi, comme l’a très justement avancé la présidente lors du procès. « On peut se dire aussi que la carte bleue de quelqu’un pourrait être utilisée par quelqu’un d’autre », a-t-elle déclaré.

Le témoignage à charge va lui aussi se révéler peu fiable. Ce témoin, jugé par le parquet comme « précis et crédible », justifiant même le maintien en détention du principal prévenu, va rapidement revenir sur son premier témoignage lors d’une deuxième audition effectuée sous sa véritable identité cette fois-ci, celle de Jean-Hugues Bourgeois, agriculteur de son état.

Il prétend désormais avoir du mal avec l’image de terroriste que l’on veut coller à Julien Coupat et affirme n’avoir que des relations « tournées vers les activités agricoles » avec les prévenus. Devant les caméras de TF1, en novembre 2009, il accuse même la police de l’avoir forcé à signer un document attestant d’un témoignage à charge qu’il n’avait pas délivré, mais qui serait tout droit sorti de l’imaginaire policier.

« Machine à broyer »

Après maints rebondissements, le 10 janvier 2017, la Cour de cassation valide la décision d'abandonner toute qualification terroriste dans ce dossier. « Il ne résulte pas des éléments d’enquête que ces agissements se sont inscrits dans une finalité terroriste, affirme la chambre criminelle dans son arrêt. Ils ne sauraient à eux seuls caractériser une infraction comme étant intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur. » Le sabotage des lignes TGV donnera bien lieu à un procès qui n’aura pas lieu aux assises, mais devant un tribunal correctionnel pour des délits relevant du droit commun.

Or, ceux-ci seront les dernières cartes du château à s’effondrer. Après dix longues années de procédures judiciaires, ce sera la relaxe pour de la quasi-totalité des huit prévenus du groupe libertaire de Tarnac, à l’exception d’un homme condamné à quatre mois de prison avec sursis et 500 euros d’amende pour recel de vol et tentative de falsification de documents administratifs. La présidente a reconnu que « rien ne permet d’affirmer que le crochet n’ait été posé sur la ligne avant l’arrivée du couple sur le site. »

Ils seront néanmoins reconnus coupables de refus de se soumettre à un prélèvement biologique, mais se voient dispensés de peine. Au final, ce procès aura servi de tribunal politique pour dénoncer les manquements de la lutte antiterroriste française. En sortant du tribunal, Yildune Lévy en a profité pour lancer à la presse : « Pour moi, s'il y a une chose qu'il faut retenir, c'est qu'il ne faut jamais lâcher, il ne faut jamais cesser de se battre contre toutes les machines à broyer, de l'antiterrorisme jusqu'aux tractopelles à Notre-Dame-des-Landes. »

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