AZF: de la catastrophe industrielle à l’épopée judiciaire

Le troisième procès de la catastrophe d'AZF, dont l'explosion en septembre 2001 à Toulouse, dans le sud de la France, avait coûté la vie à 31 personnes touche à sa fin, ce mercredi 24 mai. Retour sur plus de 15 ans de procédures, de polémiques et d'attente pour les victimes.

Sud de Toulouse, 21 septembre 2001, 10h17. L’usine AZF, pour Azote Fertilisants, appartenant à la société Grande Paroisse, filiale de Total, est rayée de la carte par l’explosion d’un stock de près de 300 tonnes de nitrate d’ammonium, situé dans le hangar 221.

La plus grave catastrophe industrielle jamais survenue en France depuis 1945 vient d’avoir lieu. L’énorme déflagration est entendue jusqu’à 80 kilomètres de l’usine, des vitres soufflées à 4 kilomètres à la ronde. En lieu et place du complexe industriel, un immense cratère.

Le bilan est très lourd : 31 morts, parmi lesquels 21 employés du site, 12 000 blessés ou traumatisés, 80 000 sinistrés, des dizaines de milliers de bâtiments (logements, entreprises, écoles) endommagés.

  • L’enquête : un accident ?

Trois jours après le drame, Michel Bréard, procureur de la République à Toulouse, crée la polémique en assurant en conférence de presse : « Il y a 99% de chances pour que ce soit un accident ».

Pourtant, dix jours après les attentats du World Trade Center aux Etats-Unis, le 11 septembre, la thèse d'un acte terroriste est dans tous les esprits.

Après des mois d'enquête, la plupart des experts concluent à des négligences ayant conduit au mélange involontaire de deux produits incompatibles : du DCCNa, un produit chloré, et du nitrate d’ammonium.

Total réfute la négligence. Le groupe pétrolier reconnaît toutefois sa responsabilité civile et verse 2 milliards d’euros aux victimes.

Les enquêteurs écartent la piste criminelle, comme celles dues au gaz, à un arc électrique ou encore d’une météorite. Mais l'hypothèse d'un acte terroriste continue de planer autour de la tragédie. Des médias et des ouvrages explorent cette thèse. Des témoins évoquent deux explosions, le profil d’un ouvrier retrouvé mort près du cratère attire l'attention, certains évoquent des revendications.

Le directeur de l’usine Serge Biechlin et la société Grande Paroisse sont renvoyés en correctionnelles pour homicides, blessures involontaires, destructions et dégradations involontaires.

  • Premier procès : le bénéfice du doute

23 février 2009, tribunal de grande instance de Toulouse. 2 949 plaignants, une salle municipale réquisitionnée pour accueillir le procès, un dossier de 109 tomes, 53 820 pages… Un procès d'exception.

Après quatre mois d’audience, les juges indiquent que l’hypothèse la plus probable est celle d’un accident industriel, rendu possible par des négligences dans la gestion de cette usine chimique à risque. Il relève des « fautes organisationnelles » de l’industriel, mais pas de « lien de causalité certain » entre les fautes et le dommage. Mais le jugement admet que l’hypothèse d'un acte intentionnel ne peut totalement être exclue, bien qu'elle ne soit étayée par « aucun élément objectif ».

Le 19 novembre, le tribunal correctionnel relaxe Serge Biechlin et Grande Paroisse « au bénéfice du doute ». C’est le choc. Le parquet, qui évoque « un devoir absolu à l'égard de toutes les personnes décédées et de toutes les victimes », fait appel.

  • Premier appel : la condamnation

3 novembre 2011 à Toulouse. Un nouveau procès-fleuve s'ouvre.

L'avocat de Serge Biechlin et de Grande Paroisse estime que l'enquête a été « biaisée » dès le début et orientée vers l'hypothèse d'un accident - la plus défavorable pour le directeur et la filiale de Total - afin de ne pas inquiéter, dix jours après les attentats du 11-Septembre.

Le 24 septembre 2012, le jugement tombe. Cette fois, les prévenus sont reconnus coupables. Serge Biechlin est condamné pour homicides involontaires à trois ans de prison, dont deux avec sursis, et à 45 000 euros d'amende. Le tribunal lui reproche de s'être désintéressé « totalement » du regroupement de produits incompatibles et de n'avoir fourni « aucune formation » dans ce domaine aux salariés des entreprises sous-traitantes. Bref, les conditions d'exploitation de l'usine ont joué un rôle dans la catastrophe. Grande Paroisse, propriétaire d'AZF, écope de 225 000 euros d'amende.

  • Cassation : jugement annulé

13 janvier 2015 à Toulouse. La chambre criminelle de la Cour de cassation casse l'arrêt de Toulouse et confie le dossier à la cour d'appel de Paris pour un nouveau procès.

En cause ? Une magistrate au procès était également vice-présidente d’une association proche de la Fédération nationale d’aide aux victimes d’attentats et d’accidents collectifs (Fenvac), partie civile lors du procès. Selon la Cour, il existe « un doute objectif » sur son « impartialité ».

  • Troisième procès : l'épilogue ?

24 janvier 2017 devant la cour d'appel de Paris. Serge Biechlin et la SA Grande Paroisse comparaissent devant une chambre spécialisée dans les « accidents collectifs ». Si les audiences sont retransmises en direct à Toulouse, la délocalisation du procès suscite la colère des associations de victimes. Plus de 180 témoins défilent pendant quatre mois.

Après quatre mois d'audiences, le procureur requiert trois ans d’emprisonnement avec sursis et une amende de 45 000 euros contre l’ancien directeur du site de l’usine, aujourd’hui âgé de 72 ans. 225 000 euros d’amende contre la filiale du groupe Total. Quasiment les peines auxquelles les prévenus avaient été condamnés en 2012 avant que le jugement soit annulé en cassation.

L’avocat général a expliqué qu'il aurait pu demander des sanctions plus lourdes pour des fautes « délibérées », mais qu’il avait estimé que le « délai déraisonnable » entre la tragédie et ce troisième procès devait profiter aux prévenus, selon un principe posé par la Cour européenne des droits de l'homme. Comparant le hangar où s’est produite l’explosion à « un bus aux pneus lisses, en descente, un jour de pluie, et ne respectant pas les distances de sécurité », il a évoqué une « sous-traitance non maîtrisée » et le déversement de « produits incertains » sur du nitrate d’ammonium stocké dans de mauvaises conditions.

Le procureur général a également évoqué le « déni » des accusés face à « la communauté qu’ils ont brisée ». La défense, elle, a encore une fois avancé de nombreuses thèses alternatives, allant de l’acte terroriste, à l’essai nucléaire en passant par la météorite… « Au-delà d'une certaine limite, le doute devient déraisonnable », assène Jean-Christophe Crocq. Une référence à la relaxe prononcée en 2009 en première instance, au bénéfice du doute.

Car, accident ou attentat, plus de quinze après, la justice n’a toujours pas tranché.

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