Par Sébastien Jédor, avec Maria-Carolina Pina,
En quarante ans, plus de 100 millions de personnes ont emprunté l'escalator qui court sur toute la façade du Centre Pompidou. La « chenille » (c'est son surnom), qui offre aux visiteurs l'une des plus belles vues de Paris, est emblématique du pari audacieux des architectes Renzo Piano et Richard Rogers : un bâtiment tout de verre et d'acier, avec tuyaux apparents - et multicolores - en extérieur. Critiquée à l'époque, l'architecture futuriste est mieux acceptée aujourd'hui. « Il y a 40 ans, j'avais dû faire un devoir au collège : "Pour ou contre le Centre Pompidou ?" », se souvient Emmanuelle, qui grelotte dans la file d'attente en ce matin de janvier. « J'avais donné les arguments de mes parents : "Ca ressemble à une usine et c'est vraiment moche. Mais finalement, avec le recul, je trouve ça extraordinaire" ».
Extraordinaire et révolutionnaire, aussi. En 1977, le Centre Pompidou est la première institution culturelle vraiment pluridisciplinaire. Car, comme le rappelle Brigitte Léal, sa directrice adjointe, Beaubourg est « bien plus qu'un musée, c'est ce qui fait sa spécificité. Nous avons la Bibliothèque publique d'information (BPI), qui ouvre sur tous les champs de la culture ; la bibliothèque du musée lui-même ; l'Ircam, le centre de recherche musicale fondé par Pierre Boulez ; des salles de cinéma et des salles de spectacle, pour la danse contemporaine notamment. Ici, c'est une ruche », conclut Brigitte Léal.
Un lieu incontourable... dont les subventions baissent
Rapidement, cette « ruche » s'est imposée sur la carte du monde de l'art, avec des expositions au succès considérable. Dali en 1979 : 840 000 visiteurs... Matisse en 1993 : 730 000 entrées... Magritte, qui a fermé la semaine dernière : près de 600 000 visiteurs. Pour l'historien de l'art Matthieu Poirier, le Centre Pompidou est devenu incontournable : « C'est un passage obligé pour les artistes français, mais aussi pour les étrangers. C'est un lieu de consécration, comme la Tate Modern à Londres ou le MoMA, le Museum of Modern Art, à New York. »
Mais l'institution doit faire face à de nombreux défis, quarante ans après son ouverture. Alors qu'en 1977, l'art moderne et contemporain n'intéressait que quelques initiés, aujourd'hui, les cotes d'artistes comme Jeff Koons - pour ne citer que lui - atteignent des sommes astronomiques, alors que les subventions du Centre Pompidou, elles, sont en baisse de 10 millions d'euros sur 8 ans. Quant au budget des acquisitions, il plafonne à 1,8 millions d'euros par an.
S'adapter aux nouvelles exigences du public
D'autre part, si le Centre Pompidou a été la première institution à ouvrir des espaces pour les enfants et les adolescents, les exigences des visiteurs changent. « Le profil type n'a pas vraiment varié, assure Catherine Guillou, directrice des publics du Centre Pompidou. Les visiteurs sont Français à 60%, leur moyenne d'âge est de 40 ans et ils se situent dans les catégories socio-professionnelles supérieures ». Le bouleversement vient d'ailleurs. « Le public dispose désormais d'une offre pléthorique, à Paris, mais aussi sur les supports numériques. Pour les jeunes, on parle d'ailleurs d'une "culture de la chambre", note Catherine Guillou. Cela change totalement le rapport à l'institution, pour celles et ceux qui font la démarche de venir sur place. Il n'y a plus, d'un côté, un public passif et, de l'autre, l'institution qui délivrerait le savoir. Le public demande à être plus collaboratif et participatif. »
Un autre rapport à la culture que le Centre Pompidou expérimente à Paris, mais aussi au Centre Pompidou - Metz, dans l'Est de la France, ouvert en 2010, et à Malaga, en Espagne, où l'institution occupe un centre d'art pour une durée de 5 ans. D'autres ouvertures devraient suivre à Bruxelles, la capitale belge, et à Shanghai, en Chine.