RFI : Quelle est l’œuvre emblématique de l’exposition représentant bien l’idée avec laquelle vous avez conçu cette nouvelle lecture de Magritte ?
Didier Ottinger : Ce pourrait être une œuvre de 1936 qui accueille les visiteurs à l’entrée de l’exposition : La lampe philosophique. Déjà en 1936, elle nous montre que Magritte est préoccupé par la philosophie. Il se représente lui-même tombant dans sa pipe et devant une bougie. Donc là, on a presque tous les éléments pour lui d’une lecture philosophique : la bougie va être évidemment à l’origine de sa réflexion sur le statut des images dans la philosophie, depuis l’allégorie de la caverne de Platon [on a seulement accès à l’ombre de la réalité, ndlr] où la bougie et la lumière jouent un rôle très important. Mais le fait qu’il tombe dans sa pipe est aussi un commentaire sur les distances qu’il prend avec les philosophes. Quand il nous montre un philosophe qui tombe dans sa pipe, il veut nous dire que le philosophe est prisonnier, qu’il évolue dans un monde clos et que les idées le rendent totalement autiste par rapport au monde qui l’environne. Là, où le peintre, au contraire, a comme vocation de rendre compte d’un dialogue avec le monde sur la base de son regard et des sens.
Magritte = peintre surréaliste, c’était longtemps l’équation omniprésente pour résumer Magritte. Vous montrez une approche à ce jour inédite de l’œuvre de l’artiste et concluez que ce n’est pas si simple. Pourquoi ?
Parce que Magritte lui-même nous raconte qu’il a été à un moment surréaliste, mais que dès 1936, il a tourné la page du surréalisme pour s’intéresser à toute autre chose qui est pour lui la résolution des « problèmes ». Alors, cela ne correspond pas du tout à l’image stéréotypée du surréalisme ou ce qu’on associe à ce terme de surréalisme, c’est-à-dire l’automatisme, la beauté arbitraire du parapluie et de la machine à coudre… Avec Magritte, on est dans un univers beaucoup plus raisonné, beaucoup plus réfléchi.
La Trahison des images, une toile de 1929 représentant une pipe accompagnée de la légende : « Ceci n’est pas une pipe », est à la fois l’œuvre phare et le titre de l’exposition Magritte au Centre Pompidou. Cette mise en question de la réalité des images résonne à notre époque de la réalité virtuelle extrêmement contemporaine. Avec la génération Y, née avec les mondes virtuels, Magritte revient-il de nouveau sur le devant de la scène ?
J’avoue, je ne sais pas s’il est si important pour la génération du virtuel. Mais le terme « La Trahison des images » est une appropriation ironique par Magritte du point de vue des philosophes. Les philosophes ont toujours dénoncé la facticité et le caractère frauduleux des images. Les images sont trompeuses. Je ne sais pas si aujourd’hui, dans l’univers cybernétique ou virtuel, les images ont gardé le même statut, si les leçons de Magritte sont applicables à la réalité contemporaine.
►Magritte, la trahison des images, exposition au Centre Pompidou-Paris, du 21 septembre 2016 au 23 janvier 2017.