S'attacher les services d'un membre de sa famille comme l'a fait le député de la Sarthe François Fillon n'est en aucun cas un délit. Sauf, bien sûr si l'emploi est fictif. Et dans l'affaire Fillon, le doute plane.
Le jeune parquet national financier, pourfendeur cet automne de Jérôme Cahuzac ne pouvait rester inactif. La procureur Eliane Houlette a donc ouvert une enquête pour détournement de fonds publics, abus de biens sociaux et recel. Les investigations ont été confiées à l'Office central de lutte contre les infractions financières.
Les enquêteurs vont donc rechercher les traces écrites d'une activité parlementaire et entendre les collaborateurs de François Fillon à l'Assemblée nationale, comme Jeanne Robinson Behre, attachée parlementaire qui déclare au Canard Enchaîné n'avoir jamais travaillé avec madame Fillon.
« l’arroseur arrosé »
Les enquêteurs vont aussi scruter les nombreuses déclarations de Penelope Fillon à la presse. Notamment celles où elle assure qu'elle est juste une paysanne se consacrant à l'éducation de ses enfants. Penelope Fillon devrait être entendue, et à l'issue de cette enquête, le parquet décidera si les charges sont suffisantes pour ouvrir une information judiciaire.
Pour Jérôme Karsenti, avocat de l'association de lutte contre la corruption ANTICOR, « si c’est un emploi fictif, c’est l’arroseur arrosé : c’est vraiment le symptôme du représentant d’Etat qui vient nous expliquer qu’il faut réduire la dépense publique, qu’il envisage la suppression de 500 000 fonctionnaires mais qui, de son côté, et dans son petit pré-carré à lui, n’hésite pas à détourner de l’argent public. C’est mortifère pour lui sur le plan électoral ». Mais, rappelle l'avocat, « tant qu’on n’a pas les éléments de preuve qui disent qu’il y a eu un emploi fictif, il bénéficie de la présomption d’innocence ».
Tous « à bord du même appareil »
L'enquête préliminaire risque cependant de polluer toute la campagne présidentielle de François Fillon comme l’affaire a perturbé le déplacement de François Fillon à Bordeaux hier mercredi où la séquence « retrouvailles » a viré à la séquence « contre-attaque », rapporte notre envoyé spécial, Julien Chavanne. « Je voudrais simplement dire que je suis complètement scandalisé par le mépris et par la misogynie de cet article. Alors parce que c’est mon épouse elle n’aurait pas le droit de travailler ? », a lancé François Fillon.
Le candidat à la présidentielle riposte sur la forme, en dénonçant une attaque sexiste, mais ne répond pas à la question qui lui sera posée et reposée : Penelope Fillon a-t-elle bel et bien exercé le travail pour lequel elle était rémunérée à l’Assemblée ?
C’est le visage crispé, l’air absent, que François Fillon a visité le nouveau centre de recherches de Thalès. A bord d’un simulateur de vol, il aura cette remarque, lourde de sens : « On va bientôt se crasher sur les montagnes en face ». « Je suis dans le même appareil », lui répond Alain Juppé.
Alain Juppé et toute la droite sont en effet « à bord du même appareil » jusqu’à la présidentielle. Du bout des lèvres, le maire de Bordeaux lui a apporté son soutien : « Il faut toujours soutenir ses amis dans la tourmente ».
Une « tourmente » qui s’aggravée dans l’après-midi lorsque, en visite à la Cité du Vin, François Fillon a appris que le parquet financier annonce l’ouverture d’une enquête préliminaire. Il a encaissé la nouvelle sans rien laisser paraître. Le candidat « intègre » est maintenant dans le viseur de la justice.