Faute de consensus au sein du groupe socialiste, Manuel Valls a opté pour le passage en force. Le 49-3 est un dispositif permettant au gouvernement de faire adopter une loi sans vote, sauf si une motion de censure est votée dans les 48 heures. Pour ce faire, un Conseil des ministres extraordinaire a été convoqué à 14h30 pour valider la procédure, comme stipulé dans la Constitution.
Il en avait parlé dès la présentation du texte, et les socialistes avaient hurlé au déni de démocratie, Manuel Valls a fini par admettre une erreur. Quatre versions de la loi plus tard, le Premier ministre l’a dégainé très officiellement ce mardi après-midi à la tribune de l’Assemblée : le 49-3, une décision pas facile, a-t-il dit, sur un ton inhabituellement calme et posé. Manuel Valls a tenu à démontrer qu'il n'avait pas le choix, évoqué ces 469 amendements acceptés par le gouvernement, ce compromis pour « faire avancer le pays ». Surtout le Premier ministre a dénoncé ce qu’il juge être la responsabilité des contestataires socialistes, alliés du « conservatisme avec la droite », c’est son expression. Plus qu’un passage en force cette décision c’est le résultat dit-il d’une « fronde contre la division ». Le signe surtout qu’à quelques encablures de la campagne présidentielle la gauche est plus que jamais morcelée, divisée.
Une motion de censure déposée
Les réactions politiques ne se sont pas fait attendre. En réponse, les députés Les Républicains (LR) et UDI ont d’ores et déjà déposé leur motion de censure contre le gouvernement. Ils dénoncent « l'impasse dans laquelle François Hollande a mené (le) pays ».
« L'heure est à la consternation devant le fait que la loi Travail, qui devait occuper le Parlement pendant plusieurs jours pour définir les règles du contrat de travail, des licenciements, des rémunérations des Français, cette loi travail va être adoptée - si la motion de censure n'est pas votée - sans qu'il y ait un débat au Parlement », a déclaré Christian Paul, chef de file des députés socialistes (PS) frondeurs. « J'ai entendu le Premier ministre dire qu'il ne fallait renoncer à aucun outil constitutionnel. Il vient d'ailleurs de le démontrer très brutalement », a poursuivi le politique.
De son côté, le Front national a appelé les députés, « en particulier » ceux du PS, à « prendre leurs responsabilités et à assumer le rejet » du projet de loi Travail « en faisant tomber le gouvernement » grâce au vote d'une future motion de censure.
Le PCF et Mélenchon appellent à voter la censure contre le gouvernement
Le parti communiste et le candidat à la présidentielle Jean-Luc Mélenchon, unis en 2012 dans le Front de gauche, ont appelé immédiatement les députés à voter une motion de censure contre le gouvernement. « Fin de règne crépusculaire : le recours au 49-3 pour passer sans débat et sans majorité la loi El Khomri contre le droit du travail! Qui veut l'empêcher doit voter la censure! », estime le cofondateur du Parti de gauche dans un court communiqué. « Pas d'élégance des dégoûtés face aux dégoûtants », a poursuivi Jean-Luc Mélenchon, estimant qu' « il faut des manifestations du front du refus le jour du vote. Et dès maintenant ».
« J'appelle les parlementaires de gauche à constituer et à voter une motion de censure de gauche. Partout, faisons entendre notre colère contre ce recul majeur de nos droits sociaux. La loi Travail doit être retirée », déclare Pierre Laurent, secrétaire national du Parti communiste, dans un communiqué.
Le FN appelle à « faire tomber le gouvernement »
« A présent que cette décision scandaleuse du recours au 49-3 a été prise, il revient aux députés, en particulier aux députés PS, de prendre leurs responsabilités et d'assumer le rejet de ce texte en faisant tomber le gouvernement, sans quoi c'est l'ensemble des institutions démocratiques de notre pays qui en serait discrédité », écrit le Front national dans un communiqué.
Le Guen estime « inconcevable » que les députés PS votent avec la droite
« Est-ce que j'imagine que des députés socialistes peuvent voter avec la droite? Cela me paraît inconcevable », a martelé le secrétaire d'Etat aux Relations avec le Parlement Jean-Marie Le Guen mardi sur BFMTV.
Rencontre avec les députés socialistes frondeurs
Jusqu'au dernier moment, le gouvernement a cherché à rassembler une majorité autour de son projet de loi Travail. Ce mardi matin, Manuel Valls rencontrait les députés socialistes hostiles au texte. Ceux-ci ont montré leur déception, à l'issue de la réunion : « Manuel Valls n'a visiblement pas envie d'aller vers un compromis », d'après le chef de file des frondeurs, Christian Paul.
De son côté, le patron des députés Bruno Le Roux, lui, le disait à la sortie, il voulait encore croire à un compromis possible et s’apprêtait alors à refaire le compte des voix « pour » et des voix « contre ».
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On sentait pourtant une extrême tension au sein du groupe ce mardi matin. Certains des députés légitimistes n’avaient pas de mots assez durs pour les contestataires, ces « dissidents » « déstabilisateurs ». L’un d’eux, sur le trottoir de l’Assemblée, accusait carrément Martine Aubry et Arnaud Montebourg de piloter la contestation au président de la République à distance. Les frondeurs, eux, accusent le gouvernement d’un jeu de dupe. Jamais, disent-ils, ils n’ont vraiment voulu faire le moindre compromis.
Alors, iront-ils jusqu’à voter une éventuelle motion de censure avec la droite en cas de recours au 49-3 ? Certains d’entre eux le disent déjà tout net, ils y réfléchissent sérieusement.