Le ministre français de l’Intérieur l’a confirmé samedi, le suspect de l’attaque déjouée dans le train transfrontalier Thalys entre Amsterdam et Paris, dont l’identité a été confirmée par ses empreintes digitales, appartenait à la mouvance islamiste radicale. Et l’homme n’était pas un inconnu pour les services de renseignement européens, notamment espagnols, français, belges et allemands.
Le suspect fiché depuis 2014
Dès 2014, les autorités espagnoles ont alerté les services français sur le cas d’Ayoub el-Khazzani. Ce Marocain de 23 ans a habité en Espagne de 2007 à mars 2014, où il vivait de petits boulots et de « trafic de drogues », selon une source des services espagnols citée par l'Agence France-Presse. En Andalousie, dans la ville d’Algésiras, ses prises de position légitimant le jihad lui ont valu d’attirer l’attention des services espagnols, qui ont alors prévenu leurs homologues français. La Direction générale de la sécurité intérieure française (DGSI) a alors émis une fiche « S », désignant les personnes potentiellement menaçantes pour la « sûreté de l'Etat ».
Un fichage qui n'a cependant pas pu éviter l’attaque de vendredi, finalement déjouée grâce à l’intervention de passagers. Tout comme il n’a pas permis d’empêcher les attentats de Toulouse. Mohamed Merah, l’auteur des tueries de mars 2012, faisait lui aussi l’objet d’une fiche « S ». Tout comme Sid Ahmed Ghlam, soupçonné d’avoir préparé un attentat contre une église de la région parisienne en avril dernier, interpelé dans des conditions rocambolesques après s’être blessé. Yassin Salhi, principal suspect de l’attentat en Isère de juin 2015, l’homme qui aurait envoyé un macabre selfie à l'un de ses contacts en Syrie, a également figuré dans ce fichier, de 2006 à 2008.
Fichier purgé
Le fichier dont on parle là est régulièrement purgé : si l'individu fiché n'a aucun comportement suspect pendant deux ans, il disparaît de la liste. « Compte tenu du volume de fiches d’observation sur le fichier " sûreté de l’Etat ", on fait régulièrement des mises à jour. Pourquoi ? Parce que par le passé, les fiches " S " étaient maintenues ad vitam æternam », explique Louis Caprioli, ancien responsable de la lutte antiterroriste à la Direction de la surveillance du territoire (DST), qui a aujourd'hui fusionné avec les RG au sein de la DCRI puis de la DGSI.
Conséquence : « Vous aviez des individus qui n’avaient plus jamais attiré l’attention, qui n’étaient plus dangereux, et qui se faisaient interpeller à l’occasion. Et il fallait justifier de ces interpellations », décrypte Louis Caprioli, qui précise que la barre des deux ans a été retenue « pour des raisons de fiabilité de ce système, pour actualiser les informations contenues dans ce fichier ».
5 000 personnes fichées
En France, 5 000 personnes sont inscrites sur ce fichier, subdivisé en plusieurs catégories qui correspondent à une échelle de vigilance, graduée jusqu'à 16. Sur ce total, 3 000 seraient des personnes surveillées pour leurs liens avec la mouvance islamiste radicale. Car toutes les personnes répertoriées ne sont pas des terroristes en puissance ; y figurent aussi des activistes politiques ou des « hooligans ».
Le fichier n’est pas un outil de surveillance permanente, mais un moyen de suivre les mouvements des personnes jugées potentiellement dangereuses par les services de renseignement, explique le député français Sébastien Pietrasanta, rapporteur de la loi sur le renseignement votée en novembre dernier. Figurer dans le fichier « ne veut pas forcément dire qu’ils sont suivis 24 heures sur 24, a déclaré le député socialiste à l’agence Reuters. Ça n’est matériellement pas possible. » Surtout, souligne Sébastien Pietrasanta, « toute la difficulté dans laquelle on est, c’est que sans matière à judiciariser, il n’y a pas de possibilité de poursuivre » les personnes soupçonnées.
Lors du vote de la loi sur le renseignement, le renforcement des dispositifs à la disposition des services avaient provoqué la polémique. Accusée d'ouvrir la voie à une « surveillance de masse », ce projet de loi a cependant été validé par le Conseil constitutionnel le mois dernier. Pour l'Observatoire des libertés et du numérique, qui dénonce des dispositions allant « contre l'intérêt de tous en manipulant les peurs », il s'agit d'une « dérive vers une société panoptique où tous les citoyens seront susceptibles d'être surveillés ».