Attaque du Thalys: le suspect réfute l'intention terroriste

Ayoub el-Khazzani est toujours entendu dans les locaux de la Sdap, la sous-direction antiterroriste de la police judiciaire, à Levallois-Perret en région parisienne. L'homme qui a blessé vendredi deux passagers dans un train transfrontalier Thalys nie avoir effectué un séjour en Syrie, ce qu'affirment pourtant les services de renseignement espagnols. Après deux jours de garde à vue, il réfute également toute intention terroriste. Sa garde à vue peut se poursuivre jusqu'à mardi.

Un homme chétif et hagard, « médusé » d'entendre qu'il est accusé d'acte terroriste : voilà l'image dépeinte par Me Sophie David, l'avocate d'Ayoub el-Khazzani. « Il est médusé du caractère terroriste qui est attribué à son action, tentative d'assassinat. Lui me dit que non. Parce que pour lui, il n'y a pas eu de coup de feu ; il dit que la kalachnikov n'a pas fonctionné et qu'il a été maîtrisé immédiatement sans qu'un coup de feu ait été tiré », confie le défenseur du suspect, qui précise que son acte serait inspiré par des besoins d'argent.

El-Khazzani assure avoir trouvé par hasard, dans un jardin public bruxellois, une valise qui contenait une kalachnikov et un téléphone... Il aurait alors eu l'idée de s'en servir pour braquer et rançonner les passagers du train transfrontalier Thalys entre Amsterdam et Paris, en embarquant à Bruxelles : « Il dit que providentiellement, il a trouvé une valise avec une arme. Lui ne parle que de la kalachnikov, avec un téléphone dans cette valise, cachée dans le jardin public qui se trouve juste à côté de la gare du Midi à Bruxelles. Donc, il a pris les armes et il est monté dans ce train, pour effectivement rançonner les passagers. Il pensait ensuite, en tout cas c'est ce qu'il déclare, sauter par la vitre du train pour s'échapper. »

Une stratégie judiciaire ?

L'histoire d'Ayoub el-Khazzani est farfelue. Pourrait-elle être une stratégie ? C'est l'avis des spécialistes de la lutte antiterroriste. Selon eux, il s'agit avant tout de nier toute implication dans un acte terroriste, afin d'alléger la peine encourue. Mais le calcul ainsi prêté à Ayoub el-Khazzani serait « assez naïf », fait remarquer Claude Moniquet, conseiller de plusieurs gouvernements en matière de sécurité. « Comment faire croire à un braquage dans un train ? C'est une idée absurde », selon M. Moniquet. « Qu'aurait-il fait une fois qu'il aurait sauté par la fenêtre, au milieu des champs avec sa kalachnikov et son sac plein d'argent ? On a du mal à visualiser. »

Notre correspondant à Bruxelles Quentin Dickinson relate que les enquêteurs belges sont eux-mêmes « sceptiques », pour le dire ainsi, à l’examen des comptes rendus d’interrogatoires du suspect que leur font parvenir leurs collègues français. L'aspect « découverte fortuite de l'arme et de munitions », le tout dans un parc bruxellois du centre-ville, leur parait totalement invraisemblable, notamment. Ils estiment plutôt, eux aussi, que ces déclarations, aussi ahurissantes que débitées d’un ton posé, sont le résultat d’un rôle bien préparé par ceux qui ont conditionné Ayoub el-Khazzani. En somme, ce dernier aurait bien appris son texte.

Un islamiste radicalisé ?

Les Belges tentent de reconstituer les complicités qui pourraient avoir motivé, financé et armé el-Khazzani. Les incohérences du récit de ce dernier sont, selon eux, volontaires et destinées à gagner du temps pour que ses commanditaires puissent se disperser et se mettre à l’abri. Pour les spécialistes belges de l’antiterrorisme, si l'on met bout à bout les nombreux déplacements imputés au suspect, en Europe et au Proche-Orient, mais aussi ses déclarations publiques favorables aux thèses jihadistes, son signalement par les services de renseignement européen, ses moyens de subsistance réels mais dont la source reste inconnue, on aboutit au portrait type de l’islamiste radicalisé.

Alors, qui est donc réellement el-Khazzani ? Le sans domicile fixe « paumé », peu instruit et sous-alimenté décrit par son avocate ? Un électron libre inspiré par la cause jihadiste ? Ou fait-il bel et bien partie d'un réseau, comme le suspectent les enquêteurs belges ? Le suspect nie avoir voyagé en Syrie, ce qu'affirment pourtant les services de renseignement espagnols. Son profil d'islamiste radical repéré par quatre pays européens (France, Espagne, Belgique, Allemagne) oriente l'enquête sur la piste d'une tentative terroriste. Mais pour le moment, selon leurs propres termes, les enquêteurs des services antiterroristes à Levallois-Perret se heurtent toujours à une « tête de mule ».

Dans son quartier, silence radio

D'où l'impératif de creuser sur le passé du suspect. Par exemple à Algésiras, ville du sud de l’Espagne, en Andalousie, à seulement 30 minutes en ferry du Maroc. On sait désormais qu’entre 2007 et 2014, Ayoub el-Khazzani a vécu dans la péninsule, et notamment à Algésiras à partir de 2010. Il y vivait de petits boulots. Et, en relation avec le Maroc, il y aurait officié comme trafiquant de drogue. Notre correspondant à Madrid, François Musseau, s'est rendu sur place, dans le quartier d'El Saladillo, qui n’a jamais eu très bonne réputation. Dans le reste d’Algésiras, explique notre confrère, on décrit cet endroit frappé par le chômage comme un vrai « coupe-gorge » rempli de délinquants, de Gitans pas très honnêtes et de Marocains peu recommandables.

Dans la réalité, il n’en est cependant pas ainsi. On peut s’y rendre et s’y promener sans crainte. En revanche, sur place, difficile de faire parler les gens sur le compte d’Ayoub el-Khazzani. On admet qu’il fréquentait les deux mosquées, dont une plutôt radicale. Mais aussi qu’il a trois sœurs dans le quartier, et que ses parents vivent toujours dans l'une des barres d’immeubles quelque peu défraichies que le quartier abrite. On dit aussi que le jeune suspect de l'attaque de vendredi était sympathique, très actif, toujours en mouvement. Mais c’est vraiment tout ; pas un mot sur ses supposées activités de trafiquant de haschich ou sur ses sympathies avec un islam salafiste, alors que les médias ne cessent de débarquer dans un quartier qui, d’ordinaire, n’intéresse personne d’autre que les policiers.

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