Migrants: polémique sur la «brutalité» des démantèlements en France

Les démantèlements de camps illégaux abritant des migrants se multiplient ces derniers jours en France. L'afflux de personnes sur les côtes méditerranéennes a entraîné la multiplication de ces installations sauvages sur le territoire français, provoquant une situation de plus en plus difficile à gérer pour le gouvernement français, sous le feu des critiques jusqu'au sein de la gauche.

Paris et Calais la semaine dernière. Paris, encore, ce lundi 8 juin. Ces derniers jours, la police française a démantelé plusieurs camps illégaux abritant des migrants. La dernière intervention policière en date, qui a visé un camp de migrants où se trouvaient essentiellement des Erythréens, des Soudanais et des Ethiopiens dans le XVIIIe arrondissement de Paris, a relancé le débat sur la politique migratoire du gouvernement français.

« Humanité et fermeté », le créneau du gouvernement français

Depuis des mois, le gouvernement répète que sa politique migratoire repose sur deux maîtres mots : « humanité et fermeté ». Humanité pour ceux qui ont « légitimement besoin d'une protection internationale », dixit Bernard Cazeneuve, le ministre de l'Intérieur. Fermeté pour les migrants économiques. C'est, aux yeux de l'exécutif, le sens de la réforme de l'asile visant à diviser par trois les délais d'étude des dossiers et à augmenter le nombre de places dans les centres d'accueil pour demandeurs d'asile.

Mais le rythme politique ne répond pas à l'urgence du moment. La réforme de l'asile est encore en débat et le flot des traversées de la Méditerranée ne se tarit pas. En France, les campements sauvages se multiplient. Après une période de laisser-faire, le gouvernement a fini par choisir de les démanteler. Un choix qui répond - officiellement - à la même double exigence : fermeté face à des installations sauvages, mais aussi humanité, car le gouvernement affirme vouloir proposer un vrai logement aux demandeurs d'asile. Reste que, sur les 84 personnes évacuées lundi à Paris, seules trois ont fait cette requête. Pour les autres, si la fermeté l'emporte, elles devraient être reconduites à la frontière.

Ouverture d'une enquête par le Défenseur des droits

La multiplication des démantèlements de campements a provoqué une levée de boucliers du côté des associations de défense des droits des migrants. Mardi 9 juin, une manifestation a été organisée à Paris, pour dénoncer les « violences policières ». Des violences qui font l’objet d’une enquête ouverte par le Défenseur des droits. Jacques Toubon a annoncé mardi avoir « immédiatement ouvert une instruction sur les faits rapportés ».

La semaine dernière, après les précédentes évacuations de campements par les forces de l’ordre, le Défenseur des droits avait déjà assuré « suivre avec attention la situation », et avait insisté sur le fait que « le caractère humanitaire de cette intervention (l’évacuation du campement de La Chapelle, NDLR) doit s’accompagner de la mise en œuvre de toutes les garanties de protection des droits fondamentaux auxquels peuvent légitimement prétendre ces personnes, notamment celles qui ont vocation à demander l’asile. »

Dans un communiqué de presse, le Groupe d'information et de soutien des immigrés (Gisti), à l'origine de la saisine du Défenseur des droits, récuse le caractère humanitaire des évacuations de campements. Pour l'association, « le concours zélé de l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides, NDLR) appuyé par de supposés spécialistes du " diagnostic social " vise à conférer une coloration humanitaire à la dispersion d’un regroupement dont la visibilité croissante pouvait finir par susciter des questions politiquement gênantes. »

Le Mouvement contre le racisme entre les peuples (Mrap) a pour sa part condamné la « brutalité des rafles » et considère que « la façon dont ont été traités ces migrants a aboli toute frontière politique entre les pratiques (de la droite, NDLR) et celles du gouvernement en ce qui concerne l'immigration. »

Les migrants au centre d'un bras de fer politique

Les réactions ont aussi été nombreuses dans la sphère politique française. La maire de la capitale Anne Hidalgo (PS) a jugé que les images de l'évacuation musclée du campement, lundi, étaient « troublantes ». Mme Hidalgo se prononce en faveur de la création d’un centre d’accueil : « Face à l'afflux auquel nous sommes confrontés, je pense qu'il faut ouvrir un centre, un lieu (…) pendant une durée de l'ordre d'une quinzaine de jours peut-être, qui permette (aux migrants) de se poser, de réfléchir, de faire ce travail avec les associations pour voir si elles demandent le droit d'asile en France ou pas. »

Dans une lettre ouverte à François Hollande, Cécile Duflot (EELV), son ancienne ministre de l’Ecologie, qualifie la situation actuelle de « Waterloo moral ». « Toute la gauche a en mémoire les tristes événements de 1996, quand la droite au pouvoir n’hésitait pas à pourchasser les migrants jusque dans les églises. Nous ne pensions pas alors que le désarroi et la colère qu’ils nous faisaient ressentir, nous les ressentirions un jour sous un gouvernement de gauche », écrit la responsable écologiste dans la tribune publiée par Le Monde ce mercredi 10 juin. « Les humanistes doivent relever la tête, afin que la folie de politiques migratoires indécentes et mortifères soit entravée », plaide l'écologiste, qui appelle à « une nouvelle politique de l’immigration, plus juste, plus réaliste, et plus conforme à notre histoire ».

Sur Twitter, où le mot-clef #Pajol sert de point de ralliement aux critiques de ceux qui dénoncent les violences policières, Pierre Laurent (PCF) s’est pour sa part déclaré « révolté par le comportement de Manuel Valls, qui envoie la force publique contre les réfugiés de la halle Pajol ». Olivier Besancenot (NPA) a lui dénoncé des « mesures gouvernementales racistes et xénophobes ». Pour lui, « il y a une instrumentalisation politique de la part du gouvernement », qu’il accuse de faire « de grands appels de phare à l'électorat de droite, d'extrême droite pour dire : " Nous au PS, nous aussi on peut être durs. " »

A droite, François Fillon accuse le gouvernement de « déplacer le problème » avec ces évacuations et a affirmé devant ses militants, mardi, que « ce qu'attendent les Français du gouvernement, ce n'est pas qu'il organise un tour de l'Ile-de-France pour les clandestins, c'est qu'ils les renvoient chez eux ».

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