Avec notre envoyé spécial à Rennes, Franck Alexandre
De cette première journée d’audience, on retiendra l’image des familles de Zyed et Bouna, massées dans la salle d’audience derrière leurs avocats. Ces personnes sont venues en nombre, notamment la famille de Bouna Traoré : sa mère, ses frères et sœurs au coude-à-coude avec le père et le frère de Zyed Benna. Tous sont tirés à quatre épingles, tous semblent impressionnés de se trouver dix ans après les faits face à l’institution judiciaire.
Le président du tribunal correctionnel de Rennes, Nicolas Léger, les a interpellés au début de l’audience. Il a parfaitement conscience, leur a-t-il dit, de leur souffrance, mais il prend néanmoins soin de préciser que le tribunal n’est là ni pour faire le procès de la police ni celui des émeutes. Il y a dix ans, la mort par électrocution des deux adolescents, alors qu'ils avaient pénétré sur un site EDF, avait provoqué de violentes émeutes dans le pays. Mais le magistrat ne veut se concentrer que sur les faits.
La première à venir à la barre est la proviseure du collège où étaient scolarisés les enfants. Marie-Christine Culioli se souvient de leur joie de vivre, « des gamins normaux, dit-elle, qui ne posaient aucun problème ». Puis les frères Traoré ainsi qu’Abdel Benna viennent parler des deux disparus, de ces plaies qui ne se sont jamais refermées.
Enfin, Muhittin Altun, le survivant du transformateur électrique, vient à son tour à la barre. Visiblement toujours très perturbé par ce qu’il a vécu, il indique simplement au tribunal qu’il ne porte que des manches longues pour masquer ses brûlures. A cet instant, il semble que le ciel soit aussi tombé sur les têtes des deux policiers poursuivis.
La Seine-Saint-Denis, « un centre de formation permanent »
De cette journée d'audience, on retiendra aussi les premiers mots de la défense. « J’ai le sentiment d’avoir fait mon travail », lâche à la barre le brigadier Sébastien Gaillemin. A 40 ans dont 15 passés dans la police, il avait toujours été parfaitement noté. C’est lui qui, le jour des faits, avait indiqué à la radio : « S'ils pénètrent sur le site EDF, je ne donne pas cher de leur peau. » « Même dix ans après, ça laisse des traces, dit-il. Je suis père de famille ; la perte d’un enfant, on n’en se remet pas. »
C’est alors que Nicolas Comte, le secrétaire général du puissant syndicat policier Unité SGP, redonne de la voix. Venu soutenir les deux policiers poursuivis, il explique : « Pour nous, il est hors de question qu’on fasse le procès de la police. Je trouve même inadmissible qu’il y ait des gens qui aient décidé que, de toute façon, c’était la faute de la police, que les policiers étaient coupables et qu’il fallait déjà manifester comme c’est annoncé dans les jours qui viennent contre " la police qui tue ". »
Et d'ajouter : « C’est intolérable. On a deux gardiens de la paix qui ont été comme tout le monde affectés à l’époque par ce qu’il s’est passé, mais qui ont fait correctement leur boulot et qui, à mon sens, n’ont aucune part de responsabilité dans la mort des deux victimes. » Nicolas Comte regrette le très faible taux d'encadrement des forces de l'ordre en Seine-Saint-Denis, qu’il y ait tout particulièrement si peu de gradés dans la police du département. La Seine-Saint-Denis, dit-il, « on n’y reste pas, c’est un centre de formation permanent ».
A la reprise de l'audience, ce mardi, le tribunal doit se pencher sur les lieux du drame, Clichy-sous-Bois, ainsi que sur l'organisation de la police en Seine-Saint-Denis précisément. Clichy-sous-Bois, 28 000 habitants en 2005, « c'est une enclave », a expliqué lundi la proviseure du collège. Une ville isolée, mal desservie par les transports, et où tout le monde se connait. Une ville particulièrement jeune et pauvre, où un quart des habitants sont scolarisés et où la moitié des élèves sont boursiers.