La ministre de l’Éducation Najat Vallaud-Belkacem est la première à le reconnaître : « l’Éducation nationale s’était peu penchée sur le problème jusqu’à présent ». Quel problème ? Celui du harcèlement scolaire, un fléau dont les conséquences peuvent être dramatiques, voire mortelles, comme en atteste le nombre en hausse constante de suicides chez les préados et les adolescents (v. le cas, d’une tristesse infinie, de la petite Marion, 13 ans, qui s’est pendue après avoir été harcelée par ses « camarades » de classe). Le harcèlement concernerait environ 700 000 élèves en France parmi lesquels 380 000 subiraient un « harcèlement sévère ».
Sur le plateau de la chaîne iTélé puis à l’occasion d’une visite dans un établissement du XVIIe arrondissement de Paris, la ministre a annoncé la mise en place de plusieurs mesures destinées à endiguer un phénomène qui, certes, a toujours existé mais qui a pris une ampleur nouvelle avec l’apparition d’internet et des réseaux sociaux. Loin de se limiter au seul cadre de l’école, le harcèlement peut en effet s’insinuer jusque dans le périmètre le plus intime des jeunes victimes, par le biais de ce que l’on appelle désormais le cyber-harcèlement, une pratique dont Mme Vallaud-Belkacem a estimé vendredi matin « qu’1 élève sur 2 » en avait été victime un jour ou l’autre, ce qui donne une idée de l’ampleur du problème.
Rompre avec le silence
D’après les estimations dont elle dispose (« estimations » car un très grand nombre de cas ne sont pas rapportés, ndlr), la ministre évalue à « 1 sur 10 » le ratio d’élèves qui seraient victimes de harcèlement sachant, précise-t-elle, qu’au moins « 1 élève sur 5 ne va pas parler ». Afin de rattraper le temps perdu face à une question trop longtemps négligée, l’ancienne porte-parole de l’Elysée en appelle à une prise de conscience quotidienne dans les établissements. Et elle demande à ce que l’on rompe le silence. « Il faut rompre avec le phénomène de groupe, les enfants qui sont témoins et qui rigolent », insiste-t-elle. « Dans la société tout entière, la prise de conscience doit aussi être plus forte et cela passera par une journée spéciale, avec les médias, à partir de la rentrée prochaine », a-t-elle poursuivi.
Situés aux premières loges, les enseignants sont appelés pour leur part à mieux détecter les harcèlements. Pour les aider, un parcours de formation continue dédié va leur être proposé sur la plateforme de formation à distance M@gistère qui dépend du ministère de l’Éducation. La ministre enverra également un courrier aux personnels enseignants le 10 février, à l’occasion de la Journée mondiale pour un internet plus sûr. Les élèves vont aussi être sensibilisés au problème avec la mise en place d’un prix « Mobilisons-nous contre le harcèlement » où ils pourront s’exprimer par écrit ou par des dessins sur leur vécu ou leur ressenti.
Hors de l’école, les parents sont évidemment aussi mis dans la boucle avec la mise à disposition d’une carte interactive pour connaître les aides accessibles localement pour faire face au harcèlement (accompagnement psychologique, centres d’accueil etc.). Sur le plan pratique, une mesure de bon sens va également voir le jour : le remplacement des deux numéros vert à 10 chiffres qui ont été mis en service en 2013 par un seul numéro, à 4 chiffres, plus facile à mémoriser et plus facile aussi à composer, en cas d’extrême urgence.
Un long chemin à parcourir
« On sait ce qu’il faut faire pour prévenir et lutter contre le harcèlement à l’école : il faut faire en sorte que l’on puisse le détecter le plus rapidement possible », a réitéré Najat Vallaud-Belkacem au micro de RFI. « Donc ça veut dire des personnels dans les établissements scolaires qui sont en capacité de le faire, des chefs d’établissement qui sachent comment traiter ces affaires et les traiter rapidement. Et aussi des parents qui soient eux-mêmes sensibilisés aux dangers du harcèlement, qui pensent à en parler avec leurs enfants et qui aient un numéro vert auprès duquel trouver des conseils ».
Une délégation composée de sept personnes œuvre déjà depuis un an sous l’égide de l’universitaire Eric Debarbieux. Ce spécialiste de la violence en milieu scolaire, auteur de plusieurs ouvrages sur le sujet, rappelle que les pays qui ont réussi à diminuer par deux ou par trois les questions de harcèlement à l’école y sont parvenus en mettant en place des politiques qui ont parfois pris plus de dix ans et qui de toutes manières, « ne devront jamais s’arrêter ». « Il y a encore beaucoup d’établissements (en France, ndlr) qui n’ont pas mis en place un plan de prévention, encore beaucoup de personnes qui n’ont pas été suffisamment formées, reconnaît Eric Debarbieux. C’est un long chemin que l'on va devoir parcourir ».