« Sur un plan humain, je suis bouleversé, stupéfait par cette nouvelle », a déclaré Jacques Toubon sur la station de radio France Inter ce dimanche matin.
« Je vais appliquer sur cette question la méthode qui est la mienne depuis toujours – obtenir les informations et les points de vue de tous – et peut-être agir », a-t-il poursuivi, en soulignant que la question des « discriminations devant la mort » avait déjà été prise en compte par le Défenseur des droits dans le passé, laissant entendre qu'il pourrait s'en saisir.
Le maire de Champlan nie avoir pris une telle décision
Dimanche après-midi, le maire de Champlan a nié avoir pris une telle décision. « A aucun moment je ne me suis opposé à cette inhumation. La mayonnaise a été montée », a-t-il déclaré à l'AFP. « On avait le choix [pour l'enterrement] entre Corbeil et Champlan. J'ai dit OK mercredi matin pour l'un ou l'autre des scénarios », a-t-il ajouté, estimant que sa réponse pouvait avoir été mal interprétée par les services de la ville.
Selon des propos rapportés plus tôt par Le Parisien, l’élu Divers droite de Champlan avait pourtant affirmé, pour justifier sa décision : « nous avons peu de places disponibles ». « Priorité est donnée à ceux qui paient leurs impôts locaux. » Selon Loïc Gandais, président de l'association de solidarité en Essonne avec les familles roumaines et roms (ASEFRR), l'édile avait aussi « prétexté que la mort » du bébé « avait été déclarée à Corbeil-Essonnes ». « C'est du racisme, de la xénophobie et de la stigmatisation », estime le président de l'association.
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L’enfant décédé de la mort subite du nourrisson
D’après l'ASEFRR, le bébé, né le 14 octobre 2014 et prénommé Maria Francesca, est décédé dans la nuit du 25 au 26 décembre. « La maman a voulu lui donner le sein à 5h00 et la petite fille était froide. Elle était morte », a précisé Marie-Hélène Brelaud, membre de l'association, qui suit la famille « depuis huit ans ».
Le bébé est alors transporté par les secours dans un hôpital de Corbeil-Essonnes, où son décès est officiellement prononcé. Deux médecins ont expliqué à la famille, en présence de Marie-Hélène Brelaud, qu'il était décédé de la mort subite du nourrisson.
« Aucune explication »
A la demande de la famille, une entreprise de pompes funèbres de Corbeil-Essonnes a demandé à la municipalité l'autorisation d'inhumer le nourrisson dans le cimetière de Champlan. Le maire aurait donc refusé. Il n'a donné « aucune explication », a raconté à l'AFP Julien Guenzi, gérant des pompes funèbres Lescarcelle. « Il n'est pas obligé de se justifier, mais des réponses comme ça, c'est très rare », a-t-il ajouté.
La petite fille sera finalement inhumée lundi à Wissous, près de Champlan. « Une mère qui a porté un enfant pendant neuf mois et qui le perd à deux mois et demi, ce n'est pas la peine d'aggraver sa douleur », a dit à l'AFP le maire UMP de Wissous, Richard Trinquier, invoquant un « souci d'humanité ».
« Une inhumaine humiliation »
Nombre d'élus et de responsables politiques et associatifs se sont émus du refus du maire de Champlan. « Perdre un bébé est un chagrin universel. Se voir refuser, pour lui, une sépulture est une inhumaine humiliation », a réagi sur Twitter la secrétaire d'Etat à la Famille, Laurence Rossignol.
Alexis Bachelay, député (PS) dans les Hauts-de-Seine, et Nathalie Goulet, sénateur (Union des démocrates indépendants) de l'Orne ont exprimé leur « nausée » et Ian Brossat, adjoint (PCF) au maire de Paris sa « honte » sur Twitter.
Des poursuites judiciaires envisagées
Le président de la Licra Alain Jakubowicz a jugé qu'il s'agissait de « racisme » et qu'il envisageait des poursuites judiciaires. De son côoté, l'ASEFRR a précisé qu'elle ne comptait pas porter plainte. « Sur le plan moral, c'est absolument contestable, mais sur le plan juridique, on ne pourra pas faire grand-chose », a souligné le président de l’association.
Selon la loi, les proches d'un défunt doivent demander l'autorisation d'inhumation au maire de la commune du cimetière choisi. Il peut être inhumé dans la commune où il habitait, dans celle où il est mort, ou là où se trouve un caveau familial. Dans les autres cas, les maires peuvent s'opposer à l'inhumation.
Des conditions de vie difficiles
D'après Marie-Hélène Brelaud de l’association ASEFRR, la famille de la petite fille vit en France « depuis au moins huit ans ». Les parents ont l'un et l'autre « environ 35 ans ». Ils ont deux garçons de 5 et 9 ans, scolarisés à Champlan. La mère a déjà perdu deux garçons en bas âge en Roumanie, l'un « d'une septicémie » et l'autre, déjà, de la mort subite du nourrisson. « Cette petite fille, c'était vraiment leur bonheur. Elle était attendue », explique Marie-Hélène Brelaud.
La famille vit dans un bidonville clôturé sans eau, ni électricité ou ramassage d'ordures, situé à l’entrée de la commune de Champlan et entouré par des voies rapides et des champs, quasiment au bout des pistes de l'aéroport d'Orly. Les familles qui vivent sur ce terrain sont officiellement domiciliées auprès du Secours catholique des Ulis (Essonne), a précisé Marie-Hélène Brelaud, car « les maires refusent la domiciliation » des familles roms dans leur commune.
► (ré)écoutez l'émission Décryptage sur Les Roms, avec Marc Bordigoni et Alexandre Le Clève.