RFI : Combien de temps faudra-t-il pour que les boîtes noires du vol AH 5017 livrent leurs secrets ?
Gérard Feldzer : Dans un premier, on les a récupérées, ce qui est déjà bien. Il faut voir aussi si ce sont des anciennes générations, c'est-à-dire analogiques et non pas numériques. Si c’est analogique, c’est un peu plus fragile et il faut les déchiffrer. Cela prend plus de temps. La première [information] qui est, me semble-t-il, intéressante, c’est la conversation des pilotes. Puisque l'on saura exactement s’ils sont rentrés dans un cumulonimbus. Ils ont dû parler entre eux et commenter en direct les problèmes qu’ils ont eu à résoudre. L’autre boîte noire, ce sont tous les paramètres de l’avion. Est-ce qu’il a décroché ? Est-ce qu’il s’est retrouvé sur le dos ? Est-ce qu’il a eu un dommage mécanique majeur ? La perte d’un réacteur ? Le feu, suite à un foudroiement ? On saura toutes ces informations. Il faut lire la partition.
Il semble que l’une de ces boîtes noires soit endommagée. On ne sait pas exactement laquelle, à l’heure qu’il est. Mais de toutes façons, si l'on vous entend bien, ce n’est pas une bonne nouvelle, puisque chacune a des informations précises et indispensables ?
Si on a déjà une des deux, cela donnera déjà de bonnes informations. On saura quand même reconstituer à peu près le scénario avec l’une des deux.
Si les boîtes noires ne parlent pas ou pas assez, ce sont les milliers de débris éparpillés sur les lieux du crash qui vont être examinés. On l’a dit, ce sont de tous petits débris métalliques qui ont été retrouvés. Est-ce exploitable ? Dans quelles conditions ?
Tout est exploitable. Evidemment, cela rajoute des indices : l’impact du choc, savoir si on peut trouver un point d’inflammation qui pourrait nous dire si l’avion a explosé en vol ou a percuté le sol quasiment en entier... Est-ce qu’il a manqué des pièces, avant de toucher le sol ? Par exemple, un réacteur qui se serait détaché... Que sais-je ? Avec tout cela, on peut essayer de reconstituer ce puzzle. Cela prendra beaucoup de temps, mais viendra confirmer ou infirmer des hypothèses que l’on aura, en lisant les boîtes noires.
Techniquement, comment fait-on parler ces bouts de métal ?
La violence des chocs. La température atteinte par ne serait-ce que les réacteurs. Si on en retrouve une bonne partie, on peut remonter un tout petit peu leur histoire et savoir s’ils ont givré, par exemple, si les moteurs se sont arrêtés. Ce sont des enquêtes extrêmement compliquées et minutieuses. Mais on arrive à faire parler les débris.
Ces analyses peuvent se dérouler sur les lieux mêmes du crash ?
Je ne pense pas que l’on puisse le faire, à moins que ce soit vraiment nécessaire, comme on l’avait fait pour l’accident de l’UTA qui avait une bombe à bord. On avait reconstitué quasiment tout l’avion à Paris, avec toutes les pièces détachées. Est-ce qu’ils prendront cette décision ? Cela dépendra probablement de la lecture des boîtes noires.
L’une des choses que l’on recherche, évidemment, c’est la trace éventuelle d’explosifs...
On devrait pouvoir y arriver, parce que les points d’inflammation font que cela change de couleur sur le métal ou sur les pièces. La déformation, aussi. Ce n’est pas du tout la même chose qu’un choc en état ou une explosion. Donc, on arrivera à déterminer cela. Ce sont des points importants.
La question de l’identification des corps semble extrêmement délicate là encore, Gérard Feldzer, du fait de la dispersion. Comment cela peut-il se passer ?
Il est difficile de dire que c’est quasiment impossible de retrouver les corps. Je pense qu’il y a un peu de pudeur par rapport à cela. Mais il va être très, très difficile de reconnaître les corps.
A quel moment pourra-t-on formuler des hypothèses étayées et dire : c’est la météo, ou plutôt une erreur humaine ?
On le saura très vite sur les deux hypothèses. Le pilote a essayé d’éviter, d’après son message radio, une première ligne d’orage et il est probablement rentré dans une deuxième qui a été fatale. Est-ce que l’appareil n’a pas résisté à cela ? C’est quelque chose qu’on saura assez rapidement. Si c’est l’hypothèse de la météo, j’ai du mal à admettre qu’on puisse rentrer dans un cumulonimbus aujourd’hui. Je ne veux pas forcément charger les pilotes. On peut se faire piéger un jour ou l’autre. Le radar n’a peut-être pas bien fonctionné ou on ne savait pas vraiment s’en servir - ou pas suffisamment d’expérience sur les fronts intertropicaux, qui sont fréquents dans la région. C’est la seule chose qu’on ne peut pas apprendre en simulateur : éviter les orages. Et il est vrai que ce sont des pilotes qui sont aguerris à l’Afrique, au front intertropical, ce qui n’était peut-être pas le cas de ces pilotes et de cette compagnie, c’est un inconvénient supplémentaire.
Donc, en fait, à l’heure actuelle, vous penchez pour - peut-être - l'explication météo, plus défaillance technique ou défaillance humaine ?
On privilégie le phénomène météo. Mais le phénomène météo, ce n’est pas quelque chose qui est fatale. On ne va pas aller là où c’est rouge, c'est-à-dire le radar qui vous indique des grêlons gros comme des balles de tennis. C’est un avion qui a une quinzaine d’années, il n’est pas si vieux. Mais quand même, on a depuis amélioré considérablement les radars qui détectent les turbulences, ce qui n’était pas le cas à l’époque.
Plusieurs pays sont impliqués dans cette enquête : le Mali, bien entendu, mais aussi la France et l’Algérie. La police scientifique algérienne est déjà sur le terrain, a dit mardi le ministre des Transports. Est-ce fréquent ?
Dans ce cas-là, quand il s’agit de plusieurs nationalités concernées, Air Algérie la première, puisqu’elle a affrété l’avion. Les Espagnols, parce qu’ils étaient prestataires, donc ils doivent être là. Le pays là où cela s’est passé... Tout le monde doit être présent. Et c’est une Commission internationale qui de facto se met en place, en évitant les maladresses. Et il ne s’agirait pas de dire que tel ou tel pays est incapable de le faire et que seule la France avec des vieux réflexes dirait : "Ecoutez, poussez-vous, je vais m’y mettre et enfin ça va être sérieux". Tout le monde a sa place. Le BEA, [Le Bureau d'Enquêtes et d'Analyses pour la sécurité de l'aviation civile], est assez diplomate et intelligent pour partager son savoir.