RFI : Une quarantaine de socialistes qui s’abstiennent, 41 exactement, après cette série de consultations intenses menées par Manuel Valls. Est-ce que l’on doit parler d’un déficit de confiance ?
Bruno Cautrès : Incontestablement. On est vraiment dans quelque chose qui est non seulement du déficit de confiance, mais c’est même beaucoup plus profond que ça. On est véritablement dans un tournant du quinquennat de François Hollande. C’est un petit peu comme si le quinquennat était aujourd’hui complètement chamboulé. Il avait promis deux années d’efforts, trois années de croissance derrière. Or ce sont trois années d’efforts qui nous attendent devant. On est vraiment dans quelque chose qui est très profond à la fois du point de vue de l’agenda des réformes, du point de vue de la signification du quinquennat de François Hollande, et puis plus profondément, du point de vue de la majorité. Et quelle est cette majorité aujourd’hui, au fond ?
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Justement, il y a des différences d’interprétation assez sensibles. Manuel Valls, par exemple, disait ce mercredi matin qu’il s’agissait en fait d’une réplique après le séisme majeur des municipales.
On comprend que le Premier ministre cherche surtout à positiver le vœu d’hier, et retenant qu’il a surtout une majorité. Mais on a quand même quelque chose qui est effectivement des conséquences en chaîne à la fois des élections municipales, mais surtout de toutes les ambiguïtés du quinquennat de François Hollande depuis son début.
Certains font exactement l’analyse inverse. Ils disent en fait, c’était un coup de semonce et on va voir ce qu’on va voir derrière ?
Non, on a quelque chose qui est beaucoup plus profond. Il est rare, très rare sous la Ve République qu’un gouvernement - sur un texte sur lequel il présente l’essentiel de ses positions avec un engagement aussi fort du Premier ministre, qui au cours de son discours d’hier très enflammé dit ‘je mets en balance ma légitimité, ma crédibilité’ - donc il est extrêmement rare de voir des députés de la majorité qui s’abstiennent voire qui votent contre puisqu’on a eu 12 députés écologistes, 12 députés du Front de gauche, les trois MRC, qui ont voté contre. On est là dans quelque chose qui est vraiment bien au-delà du mouvement d’humeur et du simple réajustement où il va falloir redialoguer avec la majorité. Il va falloir que le ministre des Relations avec le Parlement dialogue davantage avec le groupe socialiste et les députés de la majorité évidemment.
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Manuel Valls affirme que le vote d’hier lui a donné de la force. Pourtant, entre le fameux vote de confiance du 8 avril et celui d’hier, 30 voix socialistes ont manqué à l’appel.
Oui, c’est quelque chose qui est difficile pour Manuel Valls comme si la machine Valls dont on dit que c’est une machine puissante, efficace, connaissait ses premières difficultés et ses premiers ratés. Bien sûr qu’il y a du côté de la majorité des députés l’envie de faire passer un message fort au pouvoir exécutif, de dire ‘dorénavant, il faut gouverner avec nous’ mais sans doute derrière, il y a des choses qui sont plus profondes sur les grands choix de politique économique, sur d’autres questions qui viennent maintenant très rapidement à l’agenda, la question de l’Europe, et plus généralement au-delà de la question de l’Europe, la question du rapport du Parti socialiste et de la gauche à l’économie mondialisée et ouverte.
Avec une question qui s’est directement posée, et justement ce rapport à l’Europe avec le pacte et le sujet ultrasensible des déficits ?
Bien sûr, il va y avoir un grand moment de vérité sur la manière dont le gouvernement va communiquer dans la campagne des élections européennes. Au fond, François Hollande qui avait expliqué aux électeurs de gauche qu’il allait renégocier, qu’il allait impulser une nouvelle dimension à l’Europe, la croissance, qu’il allait renégocier le pacte de stabilité budgétaire avec la chancelière allemande, est un petit peu au pied du mur. Il n’y a pas eu de renégociation fondamentale de ce pacte de stabilité budgétaire et les contraintes européennes aujourd’hui pèsent de tout leur poids sur le gouvernement et sur l’économie de la France.