Déjà condamné en première instance puis en appel, Jérôme Kerviel risque cinq ans de prison ferme et 4,9 milliards de dommages et intérêts à rembourser. Une somme qui dépasse l’entendement : 4,9 milliards d'euros à rembourser, c'est 370 000 années du salaire minimum français (le SMIC) ou encore 20 Airbus A380.
Mais c'est aussi le montant que Jérôme Kerviel a fait perdre à sa banque, la Société Générale, en 2008. Si la Cour de cassation maintenait la peine prononcée en appel, le trader deviendrait du jour au lendemain l'homme le plus endetté du monde. Pourtant, rien d'anormal aux yeux de la justice. En l'état du droit de la jurisprudence, la partie civile doit être indemnisée à hauteur du montant du préjudice si celui-ci est avéré, sans condition de ressources. Si la décision est maintenue, l'ancien trader de 37 ans devra donc rembourser jusqu'à son dernier souffle, sauf si un arrangement à l'amiable est trouvé avec la banque.
Théorie du complot
L'avocat de Jérôme Kerviel, le très médiatique David Koubbi, maintient que le jeune courtier a été victime d'un « complot ». Selon lui, « la Société Générale est une banque gloutonne qui a une culture du résultat absolument délirante ». Il assure que tout le monde était au courant des agissements du « trader junior dont les objectifs ont été augmentés de 1 700% » avant de conclure : « Comprenez bien que lorsqu'une banque assigne à son trader une augmentation d'objectif de 1 700%, il est difficile de penser qu'elle ne sait pas ce [qu'il] fait ». Pour l’avocat, la banque se serait servie de « l’affaire Kerviel » pour dissimuler des pertes subies sur le marché des crédits hypothécaires américains, les « subprimes ». Lors de son procès en appel en octobre 2012, David Koubbi avait déjà plaidé cette théorie du complot mais avait échoué à faire innocenter son client. L'ancien P-DG de la Société Générale, Daniel Bouton, avait alors qualifié cette hypothèse de « n'importe quoi », notamment par manque de preuves.
Preuves insuffisantes
En première instance puis en appel, la banque a bien reconnu une négligence mais a toujours affirmé que Jérôme Kerviel avait tout fait pour maquiller ses positions. Fin 2007, le jeune trader jouait avec une cinquantaine de milliards d'euros qu'il plaçait sur différents marchés plus ou moins fiables.
Inconscience, appât du gain ou objectifs fixés par la banque ? La justice a finalement retenu que Jérôme Kerviel est l'unique responsable de cette mésaventure qui s'est soldée par une perte de 4,9 milliards d'euros pour la banque. Les juges considèrent que le jeune loup a trompé toute sa hiérarchie en s'introduisant dans les systèmes de données informatiques pour camoufler ses positions. Ainsi, il a réussi pendant plusieurs semaines à éteindre les alertes informatiques et à échapper aux contrôles.
Le trader, simple rouage
Certains salariés de la Société Générale ne croient pas en l'innocence de la banque et affirment avoir vu les agissements de Jérôme Kerviel. Or s'il existe des témoins, la direction était forcément au courant. C'est ce que défend Sylvain P. qui travaillait dans la salle des marchés des produits dérivés avec Jérôme Kerviel : « On voyait son volume d'activité, je le voyais. Ca générait un chiffre d'affaires énorme. Des appels de marge au milliard d'euros étaient réglés. Ce n'était pas une note de frais de Jérôme Kerviel, ça ne tient pas la route », explique t-il. Imbriqué dans la hiérarchie très contrôlée de la Société Générale, Sylvain P. rappelle que le trader n'est « qu'un élément dans une chaîne de production ».
Dieu et les politiques
Dans son combat pour faire éclater sa vérité, Jérôme Kerviel est parvenu à rallier à sa cause des politiques. Après le co-président du parti de gauche, Jean-Luc Mélenchon, le trader vient de recevoir le soutien d'Eva Joly. La députée écologiste européenne « espère que la Cour de cassation va casser (cette décision) dans l'intérêt de la justice ». « Si Jérôme Kerviel est le seul condamné dans ce dossier, c'est un blanc-seing d'irresponsabilité. L'intérêt général de ce dossier, c'est la protection de l'épargne », poursuit l'ancienne juge d'instruction. Faire tomber un seul homme ne suffirait donc pas, selon elle, à recadrer l'ensemble d'un système aussi défaillant.
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En attendant la décision de la Cour de cassation ce mercredi après-midi, Jérôme Kerviel s'est tourné vers le ciel. Après avoir rencontré le pape François à Rome il y a trois semaines, il a décidé de rentrer en France à pied. Un pèlerinage comme repentance, dit-il. A son arrivée, ce sera la prison ou les prétoires, pour un nouveau combat judiciaire.