RFI : Que peut-on attendre du plan pour l’égalité des droits et contre les discriminations ? Est-ce qu’on a déjà une idée des propositions qui vont être présentées ?
Catherine Wihtol de Wenden : Je pense que la chose qui me paraît importante c’est que le Premier ministre semble s’engager dans la cause de l’intégration. Pendant très longtemps, les ministères qui s’occupaient de cette question étaient, soit des petits ministères ou de petits secrétariats d’Etat rattachés souvent aux Affaires sociales ou à la politique de la ville, souvent avec en charge de jeunes ministres secrétaires d’Etat parfois issus de l’immigration, avec une assez faible compétence politique et un petit budget. Maintenant il semble que la question soit prise à bras le corps. Il faudra voir quels sont les travaux qui seront réalisés, aussi bien dans le cadre de la délégation interministérielle à l’intégration que dans le cadre du Conseil national à l’intégration. Mais j’aurais tendance à dire que c’est peut-être plutôt bon signe si, enfin, il y a une prise de conscience au plus haut niveau de l’urgence de cette question.
C’est le Premier ministre lui-même qui va présenter ces propositions. On se souvient quand même que Matignon avait publié par erreur en décembre dernier le rapport qui servait à préparer le plan. On pouvait notamment lire que le rapport préconisait la suppression de la loi sur l’interdiction du port du voile à l’école. Depuis, Jean-Marc Ayrault a reculé. Cette proposition ne risque pas de revenir, selon vous ?
Non, je ne pense pas. Non, non... Et puis il y a eu tout un débat sur ce rapport, sur les conditions dans lesquelles il avait été effectué. Donc, je pense que ça pourra peut-être être un élément de cette définition de la nouvelle politique, mais je ne pense pas que ce sera central.
Libération écrit que la politique d’intégration de Matignon est celle du verre à moitié vide ou à moitié plein. D’un côté l’affirmation d’un message d’ouverture et de valorisation des immigrés et leurs descendants, de l’autre la présentation d’une palette de mesures parfois déjà vues. Vous, vous notez quand même qu’il y a une vraie prise de conscience ? En tout cas le Premier ministre lui-même prend à bras-le-corps le dossier. Et ça, c’est déjà une avancée ?
Oui, je pense que ça, c’est un signe, disons d’engagement plus fort. Et puis d’autre part il y a une dimension qui existait déjà, mais qui est fortement marquée d’approches interministérielles. Ça aussi c’est très, très important. Parce que si c’est reléguer à un obscur secrétariat d’Etat pour faire quelque chose en la matière, si j’ose dire, on n’avance pas beaucoup. Tandis que là, si effectivement il y a un engagement de plusieurs ministères Intérieur, Affaires sociales, également Politique de la ville sur ces questions, on peut peut-être augurer d’une démarche qui soit beaucoup plus convergente et plus volontariste en la matière.
Est-ce que le moment est bien choisi ? On est à quelques semaines à peine d’une échéance électorale, ça ne favorise pas forcément la sérénité sur ce genre de sujets. Certains, y compris à gauche d’ailleurs, s’en plaignent.
Moi, j’aurais tendance à dire qu’il n’y pas de moment pour décider de s’occuper d’intégration. C’est un des enjeux très importants de la société française, qui est largement construite autour de l’immigration. Mais il ne faut pas oublier qu’un Français sur quatre a un ancêtre étranger. Et donc que ce soit en période électorale avant ou après, il n’est jamais trop tard, compte tenu de l’urgence de cette question.
Il y a en France 5, 3 millions immigrés et 6,7 millions descendants d’immigrés. Ce n’est pas forcément la même problématique ?
Non, absolument pas. Ce qu’il faut voir c’est que dans l’intégration il s’agit surtout des gens qui sont Français. Et ça beaucoup de gens ont tendance à l’oublier parce qu’ils voient les «origines» qui, d’ailleurs, ne sont pas prises en compte dans la politique française. On a une politique sociale qui essaie d’apporter un soutien à des zones territorialement défavorisées, sur des critères sociaux. Mais il ne faut pas oublier que l’essentiel des ressortissants de la politique d’intégration sont des Français.
La France compte-t-elle s’inspirer d’exemples venus d’autres pays ? Est-ce qu’on pourra voir un jour la discrimination positive en France comme ça existe déjà aux Etats-Unis par exemple ? Ou est-ce une différence culturelle trop importante ?
Disons que ça a été débattu pendant la période précédente. Finalement il a été décidé d’abandonner la thématique des statistiques ethniques. Faut pas oublier que le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la question en 2007, considérant que c’était contraire à l’esprit de la citoyenneté à la française. Peut-être qu’on y reviendra. Mais je ne pense pas que ce sera au centre, compte tenu du fait qu’on a déjà un ministre de l’Intérieur qui est assez jacobin dans ses positions. Et cette tendance jacobine qui met l’accent sur le contrat social va peut-être prédominer. Mais pour l’instant je ne peux augurer de rien dans la définition de la politique française de l’intégration.