Pierre Henry sur RFI : en France, «nous ne sommes pas dans une explosion de la demande d'asile»

Selon le député UMP Éric Ciotti, les demandes d’asile en France sont en forte augmentation. Pierre Henry, directeur de France terre d'asile, conteste ces affirmations par trop alarmistes selon lui. Il réclame certes également plus de rapidité dans les procédures, mais aussi et surtout plus de clarté de la part des autorités, une fois les décisions prises.

RFI : Sommes-nous réellement en train d’atteindre un nombre de demandes d’asile absolument record ?

Pierre Henry : Nous sommes toujours dans la même orientation qui consiste à dramatiser les choses. J’ai lu le rapport de Monsieur Ciotti. Il repose d'abord sur une extrapolation. Mais même en faisant une extrapolation, nous n’arrivons pas aux chiffres qu’il avance. Si nous nous basons sur les neuf premiers mois de l’année, il y a eu en France 48 000 demandes d’asile.

Il dit 70 000 pour 2013. C’est bien ça ?

Oui, mais même si on se base sur le chiffre que je viens de vous indiquer et si on fait une simple règle de trois, on arrive à 64 000 demandes d’asile pour l’année 2013. Donc nous n’en sommes pas aux 70 000. Il est vrai que ça a progressé par rapport à 2012, mais pour autant nous ne sommes pas dans une explosion de cette demande. Nous sommes dans une permanence. Et puis si nous nous situons par rapport à une période dix ans, je rappelle que la demande d’asile est cyclique et que dans les années 2003/2004/2005, il y a avait autant de demandeurs d’asile en France.

Donc, il ne sert à rien d’agiter des chiffons rouges. D’autant plus que dans la même période en Europe, la demande d’asile explosait de près de 34 % dans un certain nombre de pays européens, par exemple les pays du nord de l’Europe. Et cela est dû principalement à l’arrivée d’un certain nombre de réfugiés en provenance de Syrie.

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Par conséquent, nous avons des Syriens qui demandent également l’asile en France. D’où viennent-ils, ces demandeurs d’asile ?

Comme d’habitude, les dix premières nationalités demandeuses d’asile en France sur les neuf premiers mois de 2013 sont la République démocratique du Congo - on sait les affrontements qui s'y déroulent, et il y a eu 3 845 demandes d’asile  en 2013 -, la Russie,  l’Albanie, le Bangladesh, le Sri Lanka, la Géorgie, le Kosovo. Donc, pour beaucoup de ces pays, il est clair qu’il n’y a pas de discussion possible sur le chaos qui règne dans ces pays, dans ces Etats, sur la situation d’insécurité.

La France reste-t-elle un grand pays d’accueil des demandeurs d’asile, comme elle l’a été ? Vous l’avez dit, de plus en plus de demandes sont adressées à des pays du nord de l’Europe. Quelle place occupe la France aujourd’hui ?

La France occupe la deuxième place en matière d’accueil des demandeurs d’asile derrière l’Allemagne en valeur absolue. C’est-à-dire que l’Allemagne accueille plus de demandeurs d’asile que la France. Et puis par rapport à la population de ce pays, la France se situe à ce moment-là en dixième position au sein de l’Union européenne. Il ne s’agit pas de nier l’effort fait par la France. Il y a une permanence en matière d’accueil, même si aujourd’hui le système est très désorganisé.

Mais enfin, restons là aussi mesurés, abordons ces questions avec raison, parce que nous sommes malgré tout loin d’être le premier pays d’accueil en Europe. Et j’observe que d’ailleurs la France remplit difficilement son rôle, lorsqu’il s’agit d’accueillir des personnes en provenance notamment de Syrie. Depuis le début de la crise, nous avons accueilli 1 500 réfugiés syriens. Donc voilà, il faut prendre tous ces chiffres avec beaucoup de prudence. Je crois surtout qu’il faut aujourd’hui se pencher sur une réforme raisonnée et raisonnable du système d’asile en France.

L’autre critique formulée par le député Eric Ciotti, c’est le coût de l'accueil des demandeurs d’asile. Il estime que les délais d’attente, les délais d’instruction étant très longs, cela coûte des dizaines de millions d’euros à la France.

Eric Ciotti enfonce les portes ouvertes. Çela fait je ne sais combien de rapports et d’années que nous dénonçons cet élément. Oui, il est vrai que les délais d’attente sont très longs. Je voudrais vous rappeler simplement qu’en 2003 le président de la République d’alors, Jaques Chirac, avait dans un discours dans la ville de Troyes, demandé à ce que les délais d’instruction des dossiers des demandeurs d’asile soient réduits à six mois, et bien dix ans plus tard, ils sont à 16, 17, 18 mois.

Très sincèrement, je pense qu’il y a eu là une faillite de la gouvernance, sur laquelle il faut évidemment se pencher, qu’il faut réformer. Mais il ne sert rien, une fois de plus, de vouloir instrumentaliser ce sujet.

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Quelle serait la mesure phare d’une réforme raisonnable de l’asile en France ?

Il faut réduire, évidemment, les délais d’instruction, et le faire en permettant un accueil et un examen dignes pour chaque demandeur d’asile. C’est le défi qui nous est posé. Puis à la fin de cette procédure, il faut que l’Etat dise très clairement ce qu’il entend faire des personnes qui sont déboutées de leur demande. Ou elles sont régularisées, ou elles sont éloignées.

Mais un dernier mot… Je voudrais également rappeler que la France est, parmi les grands pays d’accueil en Europe, celui qui dépense le moins pour les demandeurs d’asile. L’Angleterre, les Pays-Bas font beaucoup plus.

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