Frédéric Dabi (Ifop): «Les impôts, un vrai terrain miné» pour la rentrée politique française

«La gauche a marqué l'histoire de France chaque fois qu'elle a su se rassembler. (...) C'est le moment, encore plus que jamais, d'être rassemblés pour réussir ce que nous avons à faire pour la France.» Le Premier ministre français Jean-Marc Ayrault s'est exprimé ce dimanche 25 août en clôture de l'université d'été du Parti socialiste à La Rochelle, le rendez-vous de rentrée du PS avant le début d'une nouvelle saison politique à hauts risques pour le gouvernement. Pour en parler, Frédéric Dabi, directeur adjoint de ll'Institut français d'opinion publique (Ifop).

RFI : Dans quelle position Jean-Marc Ayrault aborde-t-il cette rentrée ? Affaibli ou renforcé ?

Frédéric Dabi : En situation stable, je dirais. L’Ifop publie ce dimanche matin son traditionnel baromètre de popularité. Jean-Marc Ayrault obtient 30% de satisfaits ; il est stable depuis maintenant plusieurs mois. Il a un fort soutien auprès des sympathisants de gauche, notamment auprès des sympathisants socialistes.

Mais il reste, comme François Hollande, majoritairement impopulaire auprès des Français, du fait de l’absence de résultats perçus en matière économique et sociale. On voit une thématique qui monte fortement auprès des Français que nous interrogeons spontanément : l’augmentation des impôts, le ras-le-bol fiscal, le sentiment que le gouvernement invente, si je puis dire, chaque jour des impôts supplémentaires. C’est un vrai terrain miné pour la rentrée, où beaucoup de Français vont recevoir dans les jours à venir leur déclaration d’impôt.

Le ras-le-bol fiscal n’est donc pas qu’une expression à la mode. L'Ifop sent, dans ses études d’opinion, que le ressentiment des Français monte contre la hausse des prélèvements obligatoires en France ?

Tout à fait. Il y a deux choses. D’une part le sentiment qu’il y a des impôts supplémentaires extrêmement souvent. Les Français ont bien noté une nouvelle taxe carbone bis, les pistes pour augmenter la CSG dans le cadre de la réforme des retraites, le sentiment que l’impôt sur le revenu a très fortement augmenté. Mais au-delà de ça, il y a un problème de positionnement, un soupçon de tromperie vis-à-vis du gouvernement.

Beaucoup de Français ont noté que le 14 juillet, François Hollande avait annoncé une pause fiscale, l’arrêt de l'augmentation des impôts. Il l’avait dit également il y a quelques mois. Et donc là, d’un côté on nous parle d’une pause fiscale et de l’autre, des pistes sont envisagées pour trouver 6 milliards d’euros nouveaux. Donc, il y a un sentiment de tromperie, que le gouvernement n’est pas très clair là-dessus, ce qui accentue les critiques.

Un sujet a fait beaucoup de bruit cette semaine à La Rochelle : Manuel Valls, vedette américaine de cette université d'été. Le ministre de l’Intérieur a-t-il gagné des points dans l’opinion ces dernières semaines ?

Je dirais que oui, mais on le verra d’une manière plus matérielle lors des prochaines enquêtes Ifop, notamment de septembre pour Paris Match. Manuel Valls reste extrêmement populaire auprès des Français. Dans un sondage récent, 61% des sondés considèrent qu’il est efficace comme ministre de l’Intérieur. C’est le ministre le plus apprécié.

C’est le seul ministre du gouvernement socialiste qui échappe fortement au clivage gauche-droite, et ça navre les dirigeants de l’UMP. Mais Manuel Valls est très fortement soutenu également par les sympathisants UMP. C’est le seul qui échappe à cette « bienveillance zéro » des sympathisants de droite vis-à-vis du gouvernement actuel. Mais je nuancerais la portée des couacs, des débats Valls-Taubira. Les Français restent polarisés sur les questions économiques et sociales.

Dans l’enquête JDD de popularité, très peu de personnes évoquent l’insécurité. Ils citent un petit peu Marseille, mais quasiment personne n’évoque des clash ou des divergences de vues entre Christiane Taubira et Manuel Valls. Les Français restent polarisés sur les questions d’emploi et sur les questions d'impôt.

On parle beaucoup de Manuel Valls comme d'un « Premier ministrable », voire un futur candidat à la présidence de la République. Cela veut-il dire que son discours séduit les Français malgré les polémiques autour de sa droitisation supposée ?

Vous avez raison de dire que c’est une droitisation supposée, car ce n'est pas ce qui ressort des enquêtes d'opinion. Manuel Valls est populaire auprès des Français, dans toutes les catégories sociales. Les Français apprécient le fait qu’il ait un discours jugé cohérent. Il parle toujours d’ordre républicain, de mérite républicain. Le fait d’invoquer constamment la République pour justifier son action crée une sorte de cohérence dans l’opinion publique.

Mais j’arrêterais là. Faire de Manuels Valls un Premier ministrable, voire un candidat à l’élection présidentielle, échappe largement aux Français. Le Premier ministre, c’est une décision du président de la République, or François Hollande ne semble pas vouloir se séparer de Jean-Marc Ayrault, au moins jusqu’aux prochaines échéances électorales - municipales en mars, européennes la fin du mois de mai 2014. Pour l'instant, c’est un débat vain.

Mais du côté des Français, Manuel Valls est très largement apprécié. On ne peut pas dire que ce n’est pas un atout pour le gouvernement de Jean-Marc Ayrault d’avoir un ministre populaire. Mais ce n’est pas le seul.

De manière générale, l’économie semble donner des signes encourageants. C’est en tout cas la version que donne l’exécutif. Ce vent nouveau peut-il donner des ailes à la majorité en cette rentrée politique ?

Je dirais que oui. Mais du point de vue des Français, il est intéressant de voir que les bons chiffres de l’économie française, relativement surprenants, annoncés au mois d’août, ont été relevés par quelques Français. C’est ce qui explique aussi la petite progression dans l’enquête Ifop-JDD de la popularité de François Hollande. Des Français nous parlent spontanément de ces bons résultats.

Ils nous disent : est-ce que François Hollande, finalement, ne vas pas y arriver ? Même si pour l’instant, le scepticisme reste général, dans un sondage Ifop du mois d’août, on a 84% des Français qui ne pensent pas que François Hollande réussira à inverser la courbe du chômage. Mais les quelques petits cailloux de bonnes nouvelles rassemblent les sympathisants de gauche et permettent un petit rebond pour l’exécutif.

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