Sur le continent, en pleine torpeur estivale, cette proposition a fait l'effet d'une véritable douche froide. Limiter l'accès à la propriété pour les non-résidents, c'est en effet créer en quelque sorte un système à deux vitesses qui permet d'un côté de privilégier les insulaires ou « assimilés », et de l'autre, d'exclure le reste des habitants. Cela revient à créer de facto un droit à géométrie variable entre les citoyens. Mais en Corse, la proposition de Paul Giacobbi a reçu un certain écho car la situation de l'immobilier sur place est devenue quasiment ingérable. La spéculation immobilière, souvent d'origine mafieuse, a pris énormément d'ampleur ces dernières années, alors qu'au même moment les habitants ont beaucoup de mal à se loger. Les zones constructibles se raréfient, les logements manquent, les prix flambent alors que le revenu moyen est inférieur de 20% à celui du continent. En dix ans, la Corse a gagné 45 000 nouveaux habitants, quasiment tous venus de l'extérieur et installés principalement dans les zones les plus touristiques, comme l'extrême sud de l'île.
Une idée des nationalistes ?
Du coup, il existe sur place un réel sentiment d'exaspération que les nationalistes ont été les premiers à détecter et à exploiter politiquement. Ils ne parlent plus ni de droit du sol ni de droit du sang mais de « communauté de destin », un nouveau concept ouvrant la voie à une hypothétique citoyenneté corse. Qui devrait être réservée selon eux aux locaux et aux Corses du continent, qui ont, par exemple, une sépulture familiale sur l'île, ou qui ont fait leur scolarité sur l'île. D'une certaine façon, ce sont les nationalistes qui ont poussé le président de l'exécutif corse à se prononcer en faveur d'un statut de résident spécifique. Un statut réservé aux non-Corses habitant sur place depuis plus de cinq ans. Paul Giacobbi a lancé la polémique, il est parti s'occuper de son potager, le débat peut commencer...
Un statut viable sur le plan juridique ?
Il sera examiné à l'automne, probablement dans une atmosphère toute fiévreuse, car le débat divise. A droite comme à gauche, sur place comme sur le continent. A l'Assemblée corse, Paul Giacobbi ne dispose pas de la majorité absolue mais il pourra compter sur les voix des nationalistes, qui avaient obtenu 36% des suffrages aux élections régionales de 2010. Et déjà, Jean-Guy Talamoni se frotte les mains. Après la co-officialité de la langue corse votée le 17 mai, et condamnée un mois plus tard par le ministre de l'intérieur Manuel Valls, c'est un nouveau « coup » que sont en train de tenter ceux qui veulent ébranler l'échiquier actuel. En termes moins voilés, ceux qui voudraient, pourquoi pas, obtenir pour la Corse un nouveau statut, proche de celui de la Nouvelle-Calédonie. Pour autant, rien n'est joué : pour que la proposition de Paul Giacobbi porte ses fruits, encore faudrait-il modifier le préambule et l'article 2 de la Constitution, celui qui garantit que le droit à la propriété est inaliénable en France. Sans parler des problèmes que cela poserait sur le plan européen, ni de l'énorme séisme que cela provoquerait sur le plan politique.
Déjà, de ce point de vue, les réactions sont vives. On entend parler ici et là de mesures anticonstitutionnelles, inadaptées, voire discriminatoires. Paul Giacobbi est accusé de jouer aux apprentis-sorciers, d'avoir fait un coup politique, d'avoir cédé aux nationalistes, de leur avoir fait un cadeau inestimable. De nombreux Corses tiennent aussi à rappeler que la Corse, c'est la France et qu'ils préfèreraient un référendum pour donner leur avis plutôt que de subir des décisions qu'ils jugent insensées. Bref, le sujet est sensible et François Hollande devrait s'en rendre compte s'il se rend bien, comme convenu, en Corse à l'automne 2013.